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plan de campagne et en assurer la complète exécution, sont deux choses fort différentes. L’heure de la réalisation n’a point encore sonné.

Dédaignant de cacher son jeu, Naoroji travaille en pleine lumière, non sans ostentation, devant la foule idolâtre. Un carrosse à quatre chevaux le conduisit au Congrès, avec un roulement de grande marée déferlant sur une plage. À l’en tour, des groupes hurlant agitaient des bannières avec cette inscription : « Vive le boycottage des marchandises anglaises ! » Dans son discours d’ouverture, Naoroji compara l’Inde aux autres colonies britanniques, insistant sur « la misérable condition politique où les dominateurs l’ont réduite. » On parla pendant trois jours, et, le lendemain de la dernière séance, des délégués remirent une liste de revendications à lord Minto.

Le congrès suivant (1907) fut marqué par la scission des deux groupes, intransigeans et modérés, qui se partagent ces assemblées. Sous la menace et les violences de Tilak, chef des intransigeans, la réunion se sépara sans avoir pu nommer son président.

Les Babous, les Indous des premières castes, les parsis qui conduisent le mouvement, ne cherchent point à infuser dans les cœurs « le paisible amour de la loi ; » ils s’efforcent au contraire de fixer les idées d’indépendance qui flottent dans l’air, et, pour être compris, ils intercalent un verre grossissant entre les faits et leurs auditeurs. Dans quelle mesure ces avocats populaires réussissent-ils à convaincre ? Quelle action exercent-ils sur ces artisans paisibles, d’allure indifférente, si grossiers par leur instruction, leur éducation, leur manière de vivre ? Malgré les bagarres, le boycottage, les théories révolutionnaires et le fracas des bombes, les escamoteurs continuent, avec flegme, devant la foule ébahie, à tirer de petits tas de sable des manguiers en fleur ; d’autres dressent des cobras et disent la bonne aventure ; des femmes, aux attitudes hiératiques, circulent à pas lents, avec un vase de cuivre poli en équilibre sur la tête. Parquées entre de hautes cloisons, les castes résignées, sourdes aux appels claironnans, suivent des sillons parallèles. Rien ne paraît changé. Cependant, les soldats qui ont combattu pour l’Empire dans le Sud-africain, les coolies retour de Panama, ceux qui rentrent des sucreries des Antilles et des placers de la Guyane, racontent leurs impressions aux campagnards qui repiquent le riz et à ceux qui viennent vendre leurs produits au marché. De rares éclairs