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une fraîcheur relative, succédant à la chaleur accablante du jour, réveille les villages endormis.

Depuis vingt-cinq ans, à date fixe, les Indous des premières castes assemblent chaque année, en « Congrès national, » des groupes indigènes, moins pour discuter leurs intérêts en commun, que pour préconiser devant eux la violence et la révolte. Obéissante, silencieuse, immobile, la foule noire aux turbans blancs écoute les orateurs qui tonnent contre le régime anglais, en réclamant pour l’Inde une liberté sans limite. Savez-vous qui sont ces agitateurs si libéraux et si patriotes ? Très souvent des brahmanes, qui, par leur caste et leurs fonctions, incarnent un despotisme tyrannique. Bien que les Anglais leur aient rogné les ongles et malgré des prohibitions formelles, ces barbares, à l’occasion, poussent encore une veuve sur le bûcher de son mari. En cachette, bien entendu, loin de la police, dans les districts sauvages et les coins ignorés. Ces hommes sont-ils mûrs pour la liberté ?

La première de ces réunions, tenue à Bombay en 1885, véritable assemblée pour rire, ne complait que 70 délégués, soit un représentant pour 4 millions d’indigènes. Depuis, le nombre des députés suit une courbe ascendante. Le deuxième congrès en réunissait 463 ; le troisième, 2 000 ; enfin, en 1906, ils étaient 10 000. Alors, au lieu de sourire avec indulgence comme vingt ans auparavant, l’autorité songea.

Le Congrès de 1906 s’ouvrit à Calcutta, sous la présidence du parsi Dadabhaï Naoroji. Ce patriarche octogénaire dirigea les débats avec l’autorité que donne un long passé politique. Fondateur, dès 1855, d’une maison de commerce à Londres, il fréquenta plus tard assidûment les Communes, où l’envoyèrent, en 1893, les libéraux de Finsburg. Rentré dans son pays, très expert en affaires, anglophobe, plus indou que jamais, il prit une part active aux manœuvres anti-européennes, préconisant une action énergique en faveur de l’autonomie par le Swadeshi Movement. Aux yeux des intransigeans, ces deux mots résument le boycottage intégral. Non seulement la mise en interdit des importations du Royaume-Uni, mais le refus de toute assistance aux Anglais : les soldats désertant le drapeau suzerain ; les nombreux domestiques indigènes fuyant le home, avec impossibilité pour les maîtres de trouver des remplaçans. C’est le vide organisé autour des dominateurs. Voilà la théorie. Mais, établir un