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Il savait que beaucoup de gens, vivant de lui en parasites, redouteraient de le voir tomber à jamais et demeureraient ses partisans. Ceux-là, sans doute, par intérêt plus que par reconnaissance, interviendraient pour faire respecter la personne sacrée du Calife… Ils insinueraient qu’une déposition, arrachée par la force des armes au Cheik-ul-Islam, serait sacrilège et non avenue devant Allah. Au besoin, ils irriteraient le fanatisme des paysans d’Anatolie, musulmans dévots, d’une ignorance absolue, et que n’ont pas contaminés les idées européennes…

Mais le 27 avril, au moment où la délégation du Parlement conduisait Réchad Effendi au Séraskiérat, trois officiers de Salonique, précédant trois députés, se rendirent à Yldiz. Le secrétaire du Sultan, Djevad bey, qui avait eu le courage de rester à son poste, — et qui fut l’ami loyal de la dernière heure, — reçut les officiers et les délégués à la porte des appartemens impériaux. Puis, ayant averti son maître, il introduisit les trois députés dans un salon vide, contigu au salon d’Abdul-Hamid.

Il y avait, parmi ces trois députés, un Arménien, Carasso Effendi, et deux musulmans, Rassim Effendi et Eszad Pacha. Furent-ils sensibles au caractère tragique de la scène, du lieu, de l’heure, à cette espèce de grandeur qui ennoblit les infortunes impériales ? Les deux musulmans prièrent l’Arménien de parler le premier. Mais Carasso Effendi fit observer que la déposition du calife étant un acte religieux, il était plus convenable qu’un musulman prît la parole.

Un peu émus, ils entrèrent dans une pièce assez sombre, où ils virent Abdul-Hamid, en redingote, très pâle, le regard dur. Il avait la barbe mal teinte, d’un noir rougeâtre, les bras ballans, les épaules plus basses et arrondies qu’à l’ordinaire, ce qui lui donnait une piteuse attitude d’humilité. Djevad bey se tenait près de lui, et sur un divan, un de ses plus jeunes fils, étendu, gémissait et pleurait.

Le Sultan demanda :

— Que voulez-vous ?… Est-ce que vous allez me tuer ?

Ses mains tremblaient. Le général Eszad Pacha répondit que l’Assemblée nationale avait prononcé sa déchéance. Le Sultan dit :

— Que faire ?… C’est le destin.

Sur le divan, le petit prince sanglota plus fort. Tremblant toujours, et devenu livide, Abdul-Hamid commença une sorte