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La question de la déchéance fut mise aux voix ; mais pour conserver à l’acte toute sa valeur légale et le rendre conforme aux prescriptions du Chériat islamique, une délégation fut envoyée au Cheik-ul-Islam. Cette délégation ramena le Cheik-ul-Islam lui-même, accompagné de son chancelier qui apportait le décret de déchéance.

Le mécanisme même de la déposition explique les retards étranges qui nous avaient inquiétés. Le Sultan, ayant une double autorité de souverain et de chef religieux de l’Islam, ne peut être détrôné par un simple vote du Parlement. Si la nation rejette le souverain, il faut d’abord que le clergé mahométan ait rejeté le calife pour des raisons d’indignité ou d’incapacité. C’est ainsi qu’en août 1876, le sultan Mourad V fut déposé par un fetva « parce qu’il souffrait depuis son avènement au trône, d’une maladie sans espoir de guérison. » Cette maladie prétendue devint en effet, par suite d’une longue détention, un mal réel et incurable : la folie…

Le temps réservait une singulière revanche au fantôme irrité de Mourad V, puisqu’un autre fetva dépossède Abdul-Hamid. Ce fetva est une sorte de questionnaire, auquel le Cheik-ul-Islam doit simplement répondre par oui ou par non.

Voici le texte officiel qui résume, d’une manière caractéristique, les griefs de la Jeune-Turquie[1] :

« Lorsque le Commandeur des Croyans supprime certaines questions importantes, légales, des livres sacrés ; qu’il interdit, déchire, brûle ces mêmes livres ; qu’il dépense et dilapide le trésor public ou s’en empare illégalement ; que, sans motif légitime, il tue, emprisonne et exile ses sujets, et prend l’habitude de commettre toutes sortes d’autres tyrannies ; puis, après avoir juré de revenir à la vertu, violant son serment, persiste à provoquer de violentes révolutions capables de troubler complètement la situation et les questions islamiques, et fomente des massacres…

« Lorsque, pour faire disparaître cette tyrannie, de tous les joints des pays musulmans arrivent des demandes de déposition…

« Lorsque son maintien offre un danger certain, tandis que sa chute ne peut être que favorable…

  1. Stamboul, 27 avril 1909.