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Sur les terrasses des maisons, derrière les grilles des petits cimetières, autour des fontaines, sont accourus les tcharchafs noirs, violets, marrons, qu’on ne voyait guère à Stamboul, ces jours derniers, et des musiques jouent. Le canon, qui a interrompu ses salves, gronde encore, là-bas à Top-Kapou, au Vieux-Sérail…

Et soudain, des cavaliers, en un galop furieux, balaient la rue… « Destour !… destour !…[1] » Les queues et les crinières flottantes fuient, éperdument ; d’autres arrivent : « Destour !… destour !… » Il faut faire place, reculer… Sans doute, un personnage, le grand vizir ou le Cheik-ul-Islam, va passer avec un cortège militaire… Moïse, qui met son honneur à ne rien perdre du spectacle, quel qu’il soit, fait ranger la voiture dans une rue transversale, juste derrière la haie des soldats.

Au loin, une clameur indistincte s’élève, se rapproche, comme une vague qui court, depuis le Séraskiérat, vers nous. Elle suit le cortège qui défile rapidement, au trot, cavaliers et voitures… C’est une vision de cinématographe, j’entends des noms connus, respectés et redoutés, — Ahmed-Riza bey… Mahmoud-Mouktar Pacha… Ghevket Pacha… Et quand passe une voiture à quatre chevaux, les soldats portent les armes, un cri formidable retentit :

Padischachim tchok yacha !

À peine avons-nous entrevu, dans la voiture fermée, la figure lourde et bénévole, le fez, la stambouline noire… Mahomet V, sultan depuis une heure, a passé…


Ce soir, les journaux nous avisent que la population est autorisée à circuler dans les rues jusqu’à dix heures, et à illuminer le mieux qu’elle pourra. Mais il est interdit de tirer des coups de fusil en signe de réjouissance.

Les Grecs et les Arméniens de l’hôtel sont tout heureux. L’Américaine, qui ne s’étonne de rien, continue à imiter le banjo pendant que les hommes lisent tout en haut les derniers supplémens du Stamboul et de la Turquie.

La séance de l’Assemblée avait commencé ce matin, à dix heures, par la lecture de dépêches innombrables, venues de tous les coins de l’Empire et réclamant la déposition d’Abdul-Hamid.

  1. Gare !… gare !…