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Ce Vieux-Sérail, à l’extrême pointe de la ville, baigné par la Corne d’Or et la Marmara, contient presque toute l’histoire de l’ancienne Turquie, du XVe siècle au XIXe siècle, de Mahomet II à Mahmoud II. C’est, dans une enceinte flanquée de tours carrées, sur l’emplacement de l’acropole de Byzance, un chaos de palais, de jardins et de terrasses, où l’on peut évoquer, sans sourire, la Turquie de Byron et de Hugo. Les événemens actuels rendent plus émouvant ce pèlerinage.

Près d’une fontaine charmante, en marbre ciselé dans le style de Versailles, au toit presque japonais, aux grilles d’or, s’élève la terrible porte Auguste (Bab-i-Houmayoun) que domine une inscription sur un cartouche noir, une sorte de dédicace faite à Allah par le Conquérant. Et de chaque côté, dans les niches ogivales, on accrochait les têtes des vizirs qui avaient cessé de plaire… Mais quand l’on franchit cette porte, la « sensation d’Orient » s’évanouit… Au fond de la cour des Janissaires, qui est une sorte de terrain vague, entre les bâtimens de la Monnaie et l’église byzantine de Sainte-Irène, on aperçoit des murs crénelés, deux tourelles à poivrières, en pierres rousses sous le ciel d’un bleu de bluet… C’est presque une cité moyen-âgeuse de notre Midi, un fragment non restauré de Carcassonne. Dans cette cour, le fameux platane des Janissaires, fendu par la foudre et demi-mort, se couvre de tendres feuilles naissantes. Des soldats campent autour, dorment, fument, ou font leur kief, assis sur leurs talons croisés, dans l’herbe où les fleurettes jaunes se flétrissent. Verra-t-il d’autres révolutions, avant de sécher tout à fait, le vieil arbre témoin de massacres innombrables ? Tant de fois, des soldats se sont reposés à son ombre, après avoir chassé, étranglé, décapité des sultans !… On comprend trop bien que Mahmoud ait quitté en 1808 cette résidence féconde en sinistres images, pour le palais de Tcheragan où fut assassiné plus tard Abdul-Aziz, où Abdul-Hamid vint au monde.

J’ai passé une heure au musée de sculpture, à regarder les beaux sarcophages de Sidon, les sphinx pensifs aux ailes d’épervier, aux seins de femme, les pleureuses drapées, les enfans joufflus chargés de guirlandes, les chevaux cabrés, et les beaux chasseurs, sculptés dans un marbre presque transparent, nuancé de colorations amorties.

Il n’y a personne, dans le musée, et personne à Tchinili Kiosk, le musée de l’art musulman, le « kiosque aux faïences, » qu’on est