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tout arrive. Tous les impôts sont odieux, et les Chambres ont un courage qui diminue presque mécaniquement en raison inverse de la distance qui les sépare des élections : plus la distance est faible, plus la diminution de courage est grande. On peut juger par là de la quantité de courage qui reste en ce moment disponible. Aussi les impôts nouveaux de M. Caillaux paraissent-ils bien malades. On les a attaqués avec un merveilleux ensemble dans les bureaux de la Chambre. Dans ceux du Sénat l’attaque a été moins vive, pour une raison que plusieurs orateurs ont énoncée avec un scepticisme plein de prévoyance. — A quoi bon, ont-ils dit, nous mettre en frais d’éloquence contre des impôts que la Chambre ne votera certainement pas et qui, par conséquent, s’arrêteront en route avant d’arriver jusqu’à nous ? Ce serait nous battre contre des fantômes. Les impôts de M. le ministre des Finances sont mort-nés, et ce n’est même pas nous qui aurons à nous occuper de les enterrer.

Les taxes nouvelles, que M. Caillaux aime mieux appeler des « rectifications de taxes, » sont au nombre de sept ou de huit. La première porte sur les chiens : elle sera progressive, très fortement même, puisqu’elle variera de 1 fr. 50 par chien de garde isolé à 28 francs par chien de luxe en plus de 50 possédés par la même personne. Ceux qui aiment la progression seront contens : de plus en plus, on en met partout. Il sera difficile dans la pratique de fixer une ligne de démarcation exacte entre le chien de garde et l’autre ; mais cette difficulté n’est sans doute pas au-dessus du génie fiscal de notre administration. Ce qui est plus grave, c’est que, comme on l’a dit spirituellement, la matière imposable, c’est-à-dire le chien, fuira. Il fuira dans l’autre monde, le malheureux ! M. Caillaux aura sur la conscience d’avoir provoqué un abominable massacre de ces innocens. Leurs propriétaires aimeront souvent mieux s’en débarrasser que de payer pour eux une taxe qui viendrait s’ajouter à leur feuille de contribution, déjà surchargée. M. Caillaux compte que son impôt sur les chiens lui rapportera 10 200 000 francs. Il faudra très probablement en rabattre. Mais si le bénéfice que le budget de l’État tirera de l’impôt est hypothétique, au moins dans son chiffre, la perte pour les budgets communaux est certaine. Les chiens paient, en effet, en ce moment une taxe municipale, ce qui n’est pas une ressource à dédaigner pour les budgets de nos communes qui sont quelquefois aussi difficiles à établir que celui de l’État. M. Caillaux ne s’est évidemment préoccupé que de ce dernier. Les communes se plaindront qu’il n’ait pas songé à elles. Quant aux propriétaires de chiens, — et ils sont légion ! et ils sont le