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série de manipulations opérées par des prestidigitateurs habiles, se trouve réduite sur le papier à 105 millions. Ce n’est là qu’un trompe-l’œil ; le déficit réel reste beaucoup plus élevé ; mais acceptons le chiffre de 105 millions. M. Caillaux propose d’y faire face, moitié par des impôts, moitié par l’emprunt. Nous laissons de côté les expédiens au moyen desquels il se procure quelques ressources complémentaires : en somme, son budget se boucle par 50 millions d’obligations à court terme et par 48 millions d’impôts nouveaux. Qu’aurait-il fallu pour échapper à la nécessité de voter ces impôts ? Que le gouvernement n’obligeât pas les Chambres à racheter le réseau de l’Ouest et à voter la loi sur les retraites des cheminots. La première de ces lois coûtera 25 millions par an et la seconde 27 : soit un total supérieur à la somme demandée à l’impôt pour l’exercice prochain. C’est donc contre le gouvernement lui-même que les Chambres devraient se tenir en garde : mais il y a des mots qui les grisent, d’autres qui les paralysent et, quand on les prononce devant elles, ou elles s’égarent, ou elles s’inclinent. Il est un peu tard pour essayer de se reprendre l’année suivante, lorsque M. le ministre des Finances apporte la carte à payer.

Nous avons dit que, pour la payer, M. le ministre des Finances avait recours à l’emprunt et à l’impôt. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un emprunt avoué ; M. Caillaux recule devant cette nécessité à laquelle il faudra bien cependant se soumettre un jour ; en attendant, il procède, comme ses devanciers d’ailleurs, par ces emprunts sournois qu’on appelle émission de bons du Trésor, ou d’obligations à court terme. Il y en a eu pour près de 200 millions dans ces trois dernières années, et M. le ministre des Finances propose d’en émettre pour une cinquantaine l’année prochaine. Le total augmente donc continuellement, et ces procédés de trésorerie, qui sont légitimes lorsqu’ils ne dépassent pas certaines limites, deviennent en s’accumulant des emprunts à gros chiffres. Tout le monde, cependant, ne s’en effraie pas. On a même proposé de ne rien demander à des impôts nouveaux en 1910, et de recourir à l’emprunt seul. Ce n’est pas l’avis de M. le ministre des Finances ; il repousse cette suggestion tentatrice. « Nous n’hésitons pas à dire, écrit-il dans l’exposé des motifs de son budget, que c’est un expédient singulièrement dangereux et de nature à compromettre l’avenir tout autant que le présent, sinon plus encore. » Et il le prouve doctement, lumineusement. Mais ses projets d’impôts sont si mauvais, et ils soulèvent une réprobation si générale, que nous craignons fort de le voir obligé de transiger sur ce point, sinon même de céder, car