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— Or, ce soir-là, dans l’air embaumé des forêts
Rôdait comme un frisson voluptueux et tendre,
Et Daphné se hâtait, distraite, sans entendre
Les voix de la Nature exhaler leurs secrets ;

Comme elle franchissait d’un pied leste une source,
Apollon l’aborda : — « Demeure, » disait-il ;
« Les fleurs, vers le soleil tournent leur fin pistil…
Tourne vers moi tes yeux, Vierge, suspends ta course !

Je ne suis point ce rustre à l’humble vêtement
Qui mène ses troupeaux paître dans la vallée ;
Je suis un dieu, Daphné ! La mélodie ailée
Sur ma lyre, parfois, vibre divinement.

Je suis un dieu puissant, mais mon étreinte est douce…
Songe qu’à ta pudeur s’avive mon désir
Et que s’ouvrent déjà mes mains pour te saisir…
Demeure ! » — Mais Daphné s’enfuyait sur la mousse.

Qu’elle était belle ainsi, tendant son corps nerveux,
Ses yeux étincelans pareils à deux étoiles,
La brise soulevant autour d’elle ses voiles,
Les dernières lueurs du ciel dans ses cheveux !

Aussitôt Apollon s’élança sur sa trace,
Frémissant, bondissant, — si léger et si prompt
Que les fleurs, sous ses pas, n’inclinaient point le front…
Et voici qu’il touchait enfin la vierge lasse ;

Ses bras se refermaient sur le corps épuisé,
Le sang quittait la joue offerte à son haleine,
Sur la lèvre figée, ainsi qu’une phalène
Sa lèvre se posait pour un premier baiser…

Mais, — ô Pudeur, étrange et souveraine force ! —
Daphné se métamorphosait… Ses bras, son col
Se chargeaient de rameaux, ses pieds tenaient au sol
Et ses seins délicats se couvraient d’une écorce…