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C’est Richelieu qui lui avait inspiré ce beau dessein. Quand le cardinal acceptait d’être le protecteur de l’institution naissante, il n’avait donc pas les motifs méprisables qu’on lui suppose ; il ne songeait pas, comme le lui reproche Chamfort, à créer une école de servilité et de mensonge, à transformer les écrivains en vils flagorneurs, « en auxiliaires et affidés » du despotisme. Il avait surtout en vue la grandeur de la France ; il entendait, après avoir affermi sa situation dans le présent, lui conquérir la suprématie littéraire dans l’avenir.


IV

Une seconde question, malgré son importance, nous retiendra moins longtemps : il s’agit des mauvais choix qu’on a de tout temps reprochés à l’Académie. Le fait est que, si elle eut des époques brillantes, comme la fin du xviie siècle ou le milieu du xviiie, elle en eut aussi qui furent ternes ou d’un médiocre éclat. Il suffit de parcourir la plupart des listes académiques, pour être frappé de la quantité de noms obscurs ou inconnus qu’elles renferment. Sur les quarante immortels, une bonne moitié, d’ordinaire, est parfaitement oubliée. Ghamfort croit que le grand coupable est justement ce chiffre obligatoire de quarante. Il est rare que dans un même pays, à une même époque, se rencontrent quarante hommes de génie ou seulement de talent ; et pourtant, lorsqu’un vide se produit dans le nombre consacré, à chaque fois il faut le remplir : on le remplit tant bien que mal. Faute de trouver quelqu’un du premier rang et dont le nom doive retentir à travers les siècles, on se rabat sur les gens simplement distingués, qui se contentent de faire un peu de bruit en leur temps. Il y a des Académies, en Allemagne, qui ont refusé de s’imposer un chiffre précis de membres et nomment, sans autre considération, ceux qu’il leur paraît bon de nommer. Rien de mieux assurément, pourvu qu’à la formule : prendre tous ceux qui le méritent, on donne une contre-partie nécessaire : ne prendre que ceux qui le méritent. Sinon, l’on n’évite un inconvénient que pour tomber dans un autre. On a échappé à la contrainte du nombre fixe ; mais on se heurte à l’écueil de la liberté. Car la liberté risque d’encourager les complaisances aux médiocres, dès que, la porte pouvant toujours s’ouvrir, on n’a plus la crainte de nuire à personne ; elle amène peu à peu à grossir,