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ou dans d’autres harangues solennelles. Cela, c’est le mauvais côté de l’éloquence ; la passion ne va jamais sans quelque excès. Mais il y a aussi une bonne, une saine éloquence, l’éloquence grave et sobre, dont les anciens avaient donné des exemples, et c’est celle-là, somme toute, qui l’emporte dans la littérature entière ; elle est l’idéal du xviie siècle. Ajoutons qu’elle lui survit. Car au xviii’^, notre prose peut bien, avec Voltaire, prendre un tour plus simple, plus vif, plus dégagé, une allure de combat comme il convient aux polémiques qu’elle entame ; l’éloquence n’en subsiste pas moins toujours dans le fond, toute prête à reparaître à la surface. Elle reparaît effectivement avec Rousseau sous sa forme émue, vibrante, lyrique ; elle reparaît, quand viennent les orateurs politiques, sous sa forme déclamatoire et pompeuse, et la solennité, l’emphase, la rhétorique nous gâtent maintes fois les grands discours de la Révolution.

Ne nous plaignons pas trop cependant et acceptons un peu de déclamation, si le goût pour l’éloquence vraie ne pouvait s’acheter que par quelques concessions à la fausse. De ce goût, la langue française a tiré de précieuses qualités, qu’heureusement elle n’a pas perdues. L’avantage, ici, dépasse l’inconvénient. On peut dire qu’entre toutes les langues de l’Europe, ce caractère oratoire est ce qui fait l’originalité de la nôtre. L’écrivain, chez nous, est rarement un rêveur solitaire ; il veut, comme l’orateur, convaincre et persuader. Il s’adresse au public. Pour se faire comprendre, quelque sujet qu’il traite, il a le souci d’être clair. Il ordonne bien sa matière ; il développe les idées par leur côté le plus général ; il se met à la portée de son auditoire. C’est sa coquetterie d’être accessible à tous, d’être écouté et suivi. De là le crédit, la popularité même de notre littérature auprès de toutes les nations ; de là le mérite reconnu à notre langue, confessé sans intérêt de flatterie par l’Académie de Berlin, d’être vraiment une langue universelle. Ces résultats sont d’autant plus remarquables qu’ils ne sont pas dus au hasard ; dès le premier jour, à peine fondée, l’Académie française a vu clairement le but à atteindre : purifier la langue ou, comme elle disait avec une énergique naïveté, « la nettoyer de ses ordures, » la fixer dans la mesure possible et désirable, l’égaler à la latine, la hausser à l’éloquence, lui assurer l’universalité. Toutes ces grandes choses, il est certain qu’elle les a voulues ; mais il est sûr aussi qu’elle n’était pas arrivée toute seule à les concevoir.