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n’avait d’autre désir que de façonner le français à son image. On tendait au grand en toutes choses, dans la politique, dans l’art, dans le style. On avait la passion du « beau langage. » Quand l’Académie se rendait à Saint-Germain ou à Versailles avec les cours souveraines pour complimenter Louis XIV de quelque événement heureux, les gens.de qualité se pressaient dans la chambre du Roi, afin d’entendre[1]. Le jour où elle alla féliciter Le Tellier de sa nomination à « la charge de Chancelier de France, » dans les appartemens, nous dit-on, « plus de deux cents personnes de la Robe étaient présentes[2]. » C’est aussi ce qui donna tant d’éclat aux réceptions académiques. Dès que, sur la proposition de Perrault, on décida d’ouvrir ces jours-là les portes de la salle du Louvre, « il y eut une foule de monde, et de beau monde, et le public témoigna une extrême joie de ce nouvel établissement[3]. » C’est enfin ce goût pour l’éloquence qui avait déjà fait créer l’usage, beaucoup plus ancien, du discours de réception lui-même.

Cet usage remontait à Patru. Jusque-là le nouvel élu se bornait, sans plus de façon, à quelques mots de remerciemens, quand il « prenait séance. » Mais Patru avait soigné son compliment et s’y était appliqué de toutes ses forces. Le morceau parut si beau, et on en « demeura si satisfait qu’on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis, d’en faire autant[4]. » En réalité, il y avait mis sa rhétorique. Les éloges qu’il adressait à ses nouveaux confrères passent même toute mesure. Cette docte assemblée réunit à ses yeux tout ce que Rome et Athènes ont pu produire de plus merveilleux ; elle est un nouvel astre qui vient éclairer tout le cercle des sciences. « N’espérez pas, messieurs, s’écriet-il, de trouver à l’avenir des hommes qui vous ressemblent. C’est bien assez à notre siècle de s’être vu une fois quarante personnes d’une suffisance, d’une vertu si éminente. Un si grand effort n’a pu se faire sans épuiser la nature. » Trop souvent ainsi, à cette époque, l’hyperbole s’est glissée dans les discours académiques

  1. Par exemple, visite du 13 août 1672 à Saint-Germain, où l’on avait félicité le Roi de ses succès en Hollande (Registres de l’Académie, I, p. 44, séance du 18 août, rapport de Perrault).
  2. Registres, I, p. 180. — Même chose à propos des distributions de prix (Registres, I, p. 173) : « S’y étaient rendues plus de 300 personnes de qualité et gens de belles-lettres. » Voyez aussi, I, p. 120.
  3. Perrault, Mémoires, liv. III, p. 69 (éd. de 1842. in-12).
  4. Pellisson, dans Livet (ouvr. cit.), I, p. 159.