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lasser les erreurs, les contradictions et les sophismes, signalant les affirmations sans preuves ou les argumens misérables, les calomnies injurieuses, la mauvaise foi fréquente des exposés, l’indécence perpétuelle du ton. Et quand, prenant vigoureusement l’offensive, il s’indigne de la conduite de l’auteur envers ses confrères, conduite déloyale et perfide ; quand il lui reproche le mauvais usage qu’il fait de la préface des Éloges, la manière dont il en fausse le sens par « des interprétations forcées et des omissions adroites, » l’injustice avec laquelle il présente d’Alembert comme un ennemi des lumières, un suppôt de la tyrannie, un partisan de l’esclavage des nations, alors que d’Alembert a entendu montrer, — et combien il a eu raison ! — que « toute vérité n’est pas bonne à toute heure, en tout temps, en toutes circonstances, à toutes personnes, » « qu’il peut y avoir des inconvéniens graves à vouloir tout dire à la fois et tout faire en un coup ; » quand enfin il rappelle à son adversaire que, s’il s’est trouvé des écrivains pour défendre « la liberté de la presse, la liberté de conscience, la liberté du commerce et toutes les causes du peuple, » ces écrivains, ce sont les autres membres de l’Académie, mais non pas lui, M. de Chamfort, simple auteur de quelques discours académiques, de petites pièces de théâtre peu morales, de quelques contes gaillards et d’une tragédie faible et oubliée, homme de lettres qui n’a jamais prêché aucune de ces utiles vérités qu’il accuse les autres de « laisser à peine transpirer, » ses attaques sont rudes, mais parfaitement légitimes, et nous ne pouvons qu’approuver son langage plein de logique, de force, de raison.

Ce que nous admirons plus encore, c’est le courage que dénote cet écrit. Il en fallait pour contredire les ennemis de l’Académie, qui étaient alors les révolutionnaires triomphans. Il y avait danger à réclamer en faveur d’une institution si suspecte et, quand l’horizon s’assombrissait d’inquiétante façon, à oser, même sur un point, tenir tête à l’orage. Il y avait encore plus d’audace à élargir le débat et à prendre occasion d’une défense particulière pour attaquer dans ses excès la Révolution elle-même. Et cependant, Morellet allait jusqu’à dire : « Je suis effrayé de l’anarchie dans laquelle nous tombons ; j’ai horreur des injustices et des atrocités dont on a souillé une si belle cause ; les violations de la propriété, les spoliations ne sont pas excusées à mes yeux par ce qu’on appelle les besoins publics ; j’abhorre les pillages et