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principes. Eh ! quelle protestation plus noble et plus solennelle contre d’avilissans souvenirs, contre de méprisables habitudes, dont il faut effacer jusqu’aux vestiges, enfin contre l’infatigable adulation dont, au scandale de l’Europe, ces compagnies ont fatigué vos deux derniers rois ?… Vous avez tout affranchi : faites, pour les talens, ce que vous avez fait pour tout autre genre d’industrie. Point d’intermédiaire, personne entre les talens et la nation. Range-toi de mon soleil, disait Diogène à Alexandre. Et Alexandre se rangea. Mais les compagnies ne se rangent point : il faut les anéantir. »

Ce discours, si Mirabeau l’avait prononcé, aurait produit un grand effet : le temps était aux violences. Publié seulement, il fut encore beaucoup lu et fort approuvé. Pourtant il ne resta pas sans réponse. Deux membres de ces Académies si malmenées eurent le courage de les défendre. Après une première apologie, calme et modérée, due à Suard, l’abbé Morellet vint jeter dans la polémique sa note habituelle, plus ferme, plus résolue, plus âpre[1].

C’est un personnage curieux que Morellet. Cet ancien Sorboniste, condisciple et ami de Turgot et de Loménie de Brienne, avait un tempérament de batailleur. Des questions soulevées autour de lui, il n’en est guère où il ne soit intervenu. L’économie politique était sa spécialité et il y a marqué sa trace ; mais, comme il appartenait au parti philosophique, toutes les fois que la libre pensée lui semblait attaquée, il ne résistait pas au désir d’entrer dans la lutte. Il y avait dans ses ripostes des coups bien assénés, qui réjouissaient Voltaire[2]. Toutefois, il faut bien reconnaître, après l’avoir lu, qu’il était plus discoureur encore que pamphlétaire. Il avait conservé de ses études philosophiques l’habitude d’argumenter. Même lorsque la pensée était vive, sa prose restait trop souvent lourde et terne, empêtrée dans l’appareil de la discussion ; il était long, il n’entraînait pas le lecteur. Pour ce qui concerne le fond, sa réponse au discours de Chamfort est excellente. Les critiques qu’il en fait sont difficiles à réfuter. Il le soumet à une analyse serrée ; il le suit pas à pas, discutant chaque idée, presque chaque phrase, relevant sans se

  1. On trouvera la Réponse à l’écrit de M. de Chamfort, qui a pour titre : Des Académies, dans les Registres de l’Académie française, IV, p. 184 et suivantes.
  2. Voltaire l’appelait, après d’Alembert, l’abbé Mords-les (lettre à Thierlot du 28 juillet neO ; éd. Beuchot, LVIII, p. 520).