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chose du monde la mieux partagée. » Si le mot bon sens avait, dans la langue du xviie siècle, exactement la même valeur que dans la nôtre, on dirait volontiers que voilà bien le propos d’un tout jeune homme, qui n’a rien vu, rien observé, et qui, pour le trancher net, a appris à vivre uniquement dans les livres. En fait, rien n’est plus rare que le vrai bon sens, j’entends cette qualité qui consiste à ne pas être dupe des mots, ni des théories toutes faites, à se défier de son sens propre comme des préjugés régnans, à s’affranchir de tout parti pris, à voir les faits tels qu’ils sont, dans leur complexité et dans leur relativité, à y accommoder ses vues, à y conformer ses jugemens, à y revenir toujours pour contrôler toutes ses déductions, pour éprouver toutes ses démarches. Le bon sens ainsi compris, s’il n’est pas plus rare que le génie, est assurément plus rare que le talent, — et il est plus précieux. C’est mieux qu’une qualité, c’est, par le temps qui court, une véritable vertu. Et c’est, en matière politique, la qualité, la vertu éminente de M. Faguet. On songe involontairement, en le lisant, à cette belle parole de Bossuet, dont Pasteur avait fait sa devise, et qui devrait être celle de tous les philosophes politiques : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet. » M. Faguet, lui, regarde la réalité face à face ; il s’efforce de la comprendre ; il essaie de l’expliquer ; il tâche de modeler sur elle sa pensée. S’il ne trouve pas toujours la réalité conforme à ses désirs, — qui, de parti pris, sont modestes, — il cherche dans la réalité elle-même le moyen de la corriger ; il demande aux faits des remèdes contre les faits. Il observe le réel, il en induit le possible, il indique le souhaitable. Et ses conseils, fondés sur l’expérience, dictés par une raison très ferme et sans illusions, mais non pas sans idéal, sont assurément parmi les plus justes et les plus utiles qu’on nous ait donnés depuis vingt ans.

Un de ceux sur lesquels il est revenu le plus souvent, c’est, la nécessité urgente et croissante, dans nos démocraties contem poraines, d’un patriotisme ardent et, en quelque sorte, inconditionnel. À entendre certains théoriciens du pacifisme, la patrie ne mériterait d’être aimée et défendue que dans la mesure où elle aurait étendu généreusement sa protection matérielle et morale sur chacun de ses enfans. Admirable sophisme, et qui relèverait les enfans des pauvres de toute obligation de respect