Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine que tous ceux qui ont qualité pour parler et se faire entendre croient devoir exprimer leurs inquiétudes et donner sur les questions en cours de discussion leur avis librement motivé, « Par l’effet tout naturel, — écrivait M. Faguet, il y a huilans, — par l’effet tout naturel de causes qu’il serait bien inutile d’énumérer, tant elles sont évidentes, la plupart des hommes de lettres considérables qui ne s’étaient depuis vingt ans occupés que de littérature, se sont, depuis quelques années, préoccupés avec inquiétude, avec ardeur et même avec passion, de questions politiques. C’est M. Jules Lemaître, c’est M. Anatole France, c’est M. Coppée, c’est M. Brunetière. Je ne nomme que les plus grands. » À tous ces noms on peut joindre celui de M. Faguet. Et il y a des chances pour que la consultation politique qu’il nous donne vaille bien, en désintéressement, en générosité et en sagesse, celle de tel politicien en renom.

Elle est en tout cas singulièrement séduisante de forme et de ton. « Le style d’un bon auteur, a-t-il dit quelque part, est avant tout le style d’une conversation entre « honnêtes gens » convenablement instruits[1]. » Jamais peut-être M. Faguet n’a réalisé plus complètement son idéal que dans ses livres sur les « problèmes politiques du temps présent. » On y retrouve toutes ses qualités habituelles : parfaite possession et domination des sujets traités, remarquable lucidité de l’exposition, vigueur entraînante de la dialectique, mais rehaussées peut-être par l’aimable familiarité du tour, par la vivante allure de la causerie. Rien de pédant, rien de gourmé dans ces livres de sociologie : une aisance merveilleuse dans la discussion des questions les plus abstruses ; une clarté, une agilité, un besoin d’être toujours compris qui sont comme une déférence perpétuelle à l’égard de la pensée du lecteur ; une bonne grâce infatigable et volontiers souriante, même quand elle s’attriste ; de l’esprit, beaucoup d’esprit, ce qui ne gâte rien ; un ton de bonne compagnie qui charme et qui surprend, tant il nous dépayse. En effet, M. Faguet nous reporte à deux siècles en arrière, il a lu et bien lu Montesquieu : il est ce qu’on eût appelé jadis « l’honnête homme » de la science politique.

Un autre trait de cette série d’études, c’en est, si je puis dire, le réalisme supérieur. « Le bon sens, écrivait Descartes, est la

  1. Dix-neuvième siècle, p. 323.