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mène qui étonne quelques-uns, n’a rien qui puisse beaucoup surprendre, après l’avortement du nouveau « Pouvoir spirituel » rêvé par les chimériques tant raillés de 1840… Je ne serais pas étonné du tout qu’il y eût au xxe siècle une France catholique très vigoureuse ; et que Dieu nous en préserve, car elle ne serait pas tendre pour la minorité protestante et libre penseuse. Et je ne serais pas étonné, — car ce n’est pas toujours la majorité numérique qui gouverne, — qu’il y eût au xxe siècle une France protestante très énergique ; et que Dieu nous en garde pour la même raison que tout à l’heure en sens inverse.


Pour son propre compte, ses vœux vont ailleurs, et ils sont intéressans à enregistrer. Ce que souhaite avant tout M. Faguet, c’est « qu’il vienne un homme qui, par l’autorité du génie, » développe en « ce pays si éprouvé » le culte énergique et passionné du patriotisme. Il voudrait encore que ce héros de demain déshabituât les Français de la dangereuse et décevante « chimère de l’égalité, » et enfin qu’il « se donnât surtout pour mission d’instruire de ses devoirs et de ses intérêts l’aristocratie qui s’élève. » Quelle sera cette aristocratie qui se forme ? Ploutocratie, Église catholique, Église protestante, armée ? On ne sait encore. On ne sait qu’une chose, c’est que « le secret social est parfaitement dans la devise : Liberté, Égalité, Fraternité. La Liberté et l’Égalité sont contradictoires, mais l’antinomie qu’elles constituent, la Fraternité la résout. » Et l’historien conclut par cette noble page :


Tout nous ramène à cette vérité qu’il n’y a d’élément actif dans l’humanité que l’amour, et particulièrement dans une nation que le patriotisme, et que « Aimez-vous les uns les autres » est le dernier mot et tout le secret ; et que si l’on a dit avec raison qu’au fond la question sociale est une question morale, cela tient à ce que toutes les questions politiques sont au fond une question morale.

C’est pour cela que j’avais choisi pour titre de cette série d’études les mots : Politiques et Moralistes. C’est pour cela que je ne m’y suis occupé que de ceux qui, en même temps que des politiques, ont été des moralistes, ou ont prétendu l’être. C’est pour cela que j’appelle de mes vœux un grand penseur, ou plusieurs, qui, comme la plupart de ceux que je viens d’étudier, se posent toujours en même temps le problème moral et le problème politique et s’efforcent sans cesse d’éclaircir l’un aux lumières de l’autre. Je souhaite que les moralistes politiques qui nous viendront au prochain siècle aient tout le talent de ceux du siècle qui finit et plus de bonheur à fonder quelque chose.


IV

M. Faguet a essayé d’être l’un de ces « moralistes politiques. » Il était comme prédestiné à l’être. L’homme qui, dès 1869, écri-