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de constater « la faillite générale » de ceux qui les ont précédés. Positivistes, sceptiques, ou simples observateurs, tous, Renan comme Taine, et Sainte-Beuve comme Proudhon, et Stendhal comme Tocqueville, tous ont complètement abandonné le rêve du pouvoir spirituel qu’avaient si passionnément caressé les philosophes antérieurs, et dont la vanité leur est trop clairement apparue. Venus après ces idéalistes intrépides, « ils ont visé moins haut, ont embrassé l’avenir avec moins de confiance et de hardiesse, ont tenté de moins grandes choses, nous laissent sur une impression plutôt de découragement, de désillusion et de lassitude. « Et ainsi, de proche en proche, on en est revenu, ou peu s’en faut, à l’état général des esprits, des doctrines et des âmes qui régnait chez nous à la veille de la Révolution. C’est, à proprement parler, la banqueroute de l’idéal spirituel du XIXe siècle.

Voilà, rapidement, et grossièrement esquissée, la philosophie de l’histoire morale du siècle qui vient de finir, telle du moins qu’elle ressort de la longue et consciencieuse enquête instituée par M. Faguet. Je ne puis malheureusement donner une idée de la haute sérénité, de l’impartialité pénétrante, de la verve inventive, de l’ingéniosité spirituelle et souvent profonde, de la vigueur logique, de la souveraine clarté enfin avec laquelle cette enquête a été conduite. Est-ce à dire d’ailleurs que ces rares qualités n’aient point parfois leur rançon ? Si certaines parties de cette vaste synthèse donnent vraiment l’impression du définitif, d’autres n’appelleraient-elles pas certaines restrictions et réserves ? Cette vue d’ensemble du mouvement philosophique et religieux au XIXe siècle serait-elle si lumineuse, si, çà et là, les lignes générales n’en étaient pas un peu simplifiées ? La réalité de l’histoire est peut-être plus complexe, plus ondoyante et plus diverse que, parfois, ne le laisse entendre M. Faguet. Par exemple, — et cette observation, je le reconnais, ne change en rien les conclusions générales de l’historien moraliste, — est-il bien sûr que Taine ait été de tous points « le positiviste pessimiste » et sans espérance que l’on nous représente ? Lui aussi, ce me semble, a cru, et jusqu’au bout, à l’avènement d’un « pouvoir spirituel, » qui était celui de la Science ; et je sais, je crois même l’avoir dit, qu’à cet égard, son tempérament démentait sa doctrine, et que s’il avait l’intelligence optimiste, il avait au contraire la sensibilité profondément pessimiste ; mais enfin, en matière doctrinale, nous avons à tenir compte des idées plus que du tempérament per-