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conçoit bien entendu, cette âme, cette pensée, cette œuvre. Après avoir décomposé, il recompose. Il fait songer à un très habile horloger qui, après avoir démonté une montre, la remonte prestement devant nous. Ses « études littéraires, » ce sont des reconstructions d’âmes d’écrivains. « Mon excellent camarade Faguet, disait de lui voilà déjà bien longtemps M. Jules Lemaître, vient d’écrire sur Mme de Staël, sur Benjamin Constant et sur Joseph de Maistre, d’admirables études, qui sont assurément les plus puissantes reconstructions d’âmes et de systèmes qu’on ait vues depuis les premiers ouvrages de M. Taine. » Et de fait, c’est bien à Taine que l’on songe, mais à un Taine moins épris de psychologie scientifique, moins artiste aussi, et plus préoccupé d’expliquer l’œuvre qu’il étudie.

Cette méthode, comme toutes les méthodes du monde, comporte des dangers j et elle a soulevé quelques objections.

Il n’est pas douteux tout d’abord qu’elle ne soit un peu subjective. C’est de l’impression personnelle qu’elle part, ce sont des impressions personnelles qu’elle met en œuvre. Une étude de M. Faguet, c’est un auteur, c’est une âme vue à travers son esprit. C’est donc là de l’impressionnisme, un impressionnisme très intelligent, si l’on veut, mais de l’impressionnisme. Le critique peut être parfois soupçonné de mettre dans ses représentations une logique qui n’est pas toujours dans la réalité.

Cette objection, je l’avoue, me frappe peu. Il me semble que, critiques ou historiens, nous faisons tous ainsi, et que, d’ailleurs, nous serions bien embarrassés de faire autrement. Nous ne voyons jamais une âme humaine, une œuvre humaine à l’état pur en quelque sorte, mais toujours à travers nous-mêmes. Et, au total, connaît-on beaucoup d’esprits critiques qui représentent aussi fidèlement et déforment aussi peu la réalité que celui de M. Faguet ?

On lui a reproché aussi, — c’est M. Lanson, — son « indifférence à l’égard de l’érudition méthodique. » L’objection ici est plus spécieuse. Il est certain qu’on ne trouve pas, dans les livres de M. Faguet, grande accumulation de textes, de notes et de citations. Très « honnête homme, » il a évidemment en horreur le pédantisme, l’étalage, toujours facile, d’une érudition qui est souvent de bien fraîche date. En général d’ailleurs, il est très suffisamment informé, et il a fort bien lu les textes dont il parle. Et toutefois, avouons-le, on voudrait, pour être pleine-