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par sa modestie, par ses scrupules, je ne veux pas dire de savant, — car, pas plus que lui, je n’aime à parler de science en matière de choses morales, — mais de lettré et de philosophe. Très capable, et plus qu’aucun autre, d’idées générales, au lieu d’y faire rentrer les individus qu’il étudie, et d’y subordonner toutes les parties de ses livres, quand l’étude des individualités l’a amené à quelques vues d’ensemble sur le mouvement général des esprits et des formes d’art dans un siècle déterminé, il ne se refuse point à les dégager, mais il les expose tout simplement dans une courte Préface, invitant en quelque sorte le lecteur, s’il y trouve quelque arbitraire, à ne point la lire ou à n’en pas tenir compte, et à s’attacher uniquement aux études particulières qui composent le volume. Mais en fait, les Préfaces de son Dix-huitième et de son Seizième siècle sont extrêmement remarquables, et de fort beaux morceaux de philosophie historique. Pour ramasser et analyser en quelques pages substantielles et fortes les tendances maîtresses d’une époque, M. Faguet ne le cède en rien aux maîtres du genre, à Brunetière par exemple, et à Taine.

Mais encore, pour ses études particulières d’individus, comment procède-t-il exactement ? Il me semble qu’on pourrait se représenter sa méthode de travail de la manière suivante. Soit par exemple Calvin, Voltaire ou Chateaubriand, qu’il s’agit d’embrasser et de définir. M. Faguet prend d’abord sur son auteur quelques rapides informations biographiques ou bibliographiques. Puis il s’enferme pendant un certain temps avec les œuvres de l’écrivain qu’il se propose d’étudier : il les lit attentivement, en prenant des notes, mais surtout il essaie de s’assimiler aussi complètement que possible toute la substance de cette œuvre imprimée. Cela fait, il ferme les livres, et il rêve : il analyse l’impression qu’ont faite sur lui ses lectures ; il s’efforce de se représenter le plus exactement qu’il peut la personnalité intellectuelle et morale de l’homme dont il vient de lire les écrits ; il rapporte à leurs causes profondes les multiples impressions qu’il en a emportées ; il essaie de pénétrer à l’intérieur d’eux-mêmes, de décomposer le mécanisme délicat de leur tempérament, de leur caractère, de leur pensée. Et quand il a répondu à toutes les questions qu’il se pose à leur endroit, quand il croit les avoir bien pénétrés et compris, quand l’image intérieure qu’il s’en forme est assez nette, alors, les yeux attachés sur elle, il tâche de la fixer sur le papier ; il reconstitue en quelque sorte sous nos yeux, telles qu’il les