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il exprime toujours à ses risques et périls, mais telle qu’il l’a librement formée, son opinion personnelle. Et assurément, il lui arrive, comme à tout le monde, de se tromper ; et l’on a pu, au moins une fois, lui reprocher quelque excès de lyrisme ; mais que les critiques qui ne se trompent, ou pour mieux dire, qui ne « s’emballent » jamais, lui jettent la première pierre ! Ceux-là ont perdu, ou n’ont peut-être jamais eu la faculté d’admirer, c’est-à-dire de toutes les facultés celle qui est la plus nécessaire au vrai critique. C’est pour l’avoir conservée que les feuilletons dramatiques de M. Émile Faguet comptent dans l’histoire de la critique théâtrale.

Les mêmes qualités, avec certaines nuances, se retrouvent dans les innombrables études de critique ou d’histoire littéraire qu’il a prodigalement semées au jour le jour depuis trente ou quarante ans, et dont les quinze ou dix-huit volumes que nous possédons ne représentent sans doute qu’une portion assez minime. Là encore, la forme est souvent un peu négligée : nous avons affaire à un écrivain qui, ayant beaucoup à dire, et déjà impatient de passer à un autre sujet, n’a pas le temps de donner le dernier coup de lime : il le sait, et il s’en console. Ce n’est pas impuissance ou inconscience, c’est insouciance. D’ordinaire d’ailleurs, la forme est si franche, si directe, si allante, si vivante surtout ; elle est si exactement moulée sur la pensée et comme entraînée par elle, qu’on lui passe aisément jusqu’à ses pires négligences, et que même, assez vite, on en arrive à les trouver savoureuses. Au reste, même dans les articles les plus improvisés de M. Faguet, à plus forte raison dans ses études longuement méditées, on rencontre nombre de pages qui, pour la vigueur, l’éclat, la verve pittoresque, ne le cèdent à aucune autre, et sont de toute éternité destinées à aller grossir les anthologies de l’avenir. Tels sont surtout ses « portraits » d’écrivains : ceux de Mme de Sévigné dans son Dix-septième siècle, de Voltaire et de Diderot dans son Dix-huitième, de Calvin et de Rabelais dans son Seizième :


Un docteur très savant, très laborieux, très grave dans l’exercice de sa profession et dans la suite persévérante de ses études, de bonne santé du reste, de bonne conscience et, partant, de naturel gai, a fini sa journée commencée à cinq heures du matin ; il est huit heures du soir ; il vient de dîner intelligemment, mais largement ; ses amis sont là qui aiment à l’entendre causer ; il cause, il se détend, il raconte des histoires, quelquefois