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et de l’histoire, à les systématiser, l’art en un mot des reconstructions logiques de la réalité historique. Le livre sur la Tragédie française au XVIe siècle, c’est, un peu à la manière de Brunetière, un chapitre de l’histoire d’un genre ; le livre Drame ancien, Drame moderne, c’est, à la manière de Taine et de Brunetière encore, une philosophie de l’histoire de l’art dramatique. Soit désir de sauvegarder son originalité personnelle à l’égard de son « maître et ami, » soit, après ces débauches d’abstractions, retour offensif d’un scepticisme de positiviste, M. Faguet s’est depuis interdit ces aventures métaphysiques ; ses vues systématiques sur l’histoire d’un siècle ou d’un genre, il se contentera désormais de les ramasser dans les préfaces de ses livres. Mais il faut noter cette disposition, et retenir ce trait. Ce critique est un logicien.

Ces spéculations d’histoire littéraire et d’esthétique sont moins inutiles qu’on ne croit généralement à la profession de critique dramatique ; elles y sont même, et M. Faguet en est la preuve, une excellente préparation : il est bon de connaître le passé de notre théâtre, et même des autres théâtres, pour bien juger des pièces actuelles ; et il est bon d’avoir réfléchi aux conditions et aux lois du genre dramatique pour discerner du premier coup d’œil si une pièce nouvelle est née viable, ou si elle ne l’est pas. M. Faguet était donc excellemment muni et armé pour ce rôle de « feuilletoniste théâtral » qu’il a tenu presque toute sa vie, et où il a produit une œuvre considérable et fort intéressante. Trois volumes, — qui n’ont pas été réimprimés, — de Notes sur le théâtre contemporain, quatre volumes de Propos de théâtre représentent aujourd’hui pour nous les trente ou quarante volumes de feuilletons dramatiques que M. Faguet a dispersés au jour le jour dans divers journaux, et que nous avons presque tous lus, mais que nos petits-neveux ne liront pas. Ce sont causeries écrites au courant de la plume, d’un style parfois un peu lâché et trop complaisant aux jeux de mots, et même aux calembours, mais souvent spirituel[1] et, dans sa bonhomie familière et un peu narquoise, d’un tel mouvement qu’on lui pardonne tout. Pour le fond, une grande bienveillance, une bonne

  1. « M. Henri Lavedan a de l’esprit… de ce genre d’esprit qui fait merveille en choses imprimées, de l’esprit de livre ou de journal, à la Chamfort ou à la Rivarol, de l’esprit comme je voudrais bien en avoir quand j’écris un feuilleton. » (Notes sur le théâtre contemporain t. III, p. 202.)