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à la Cour, on l’avait supportée quinze fois de suite à Paris. Enfin c’était un début. Déserter la lutte aussitôt, et quand l’épreuve pouvait paraître douteuse, c’était donner raison à ses ennemis. En renonçant à faire casser l’arrêt qu’on avait prononcé contre lui, il semblait l’accepter : S’il n’essayait pas de faire autre chose, n’était-ce pas qu’il se sentait incapable de faire mieux ?

Voilà ce qu’on devait croire, — et peut-être n’avait-on pas tort. Est-il donc impossible que cet homme, si clairvoyant pour les autres, ait appliqué la même clairvoyance à sa personne, qu’il ait connu ses faiblesses comme il savait aussi sa force ? Malgré les complaisances et les illusions de l’amour-propre, n’a-t-il pu s’apercevoir des lacunes de son talent ? Il était un esprit critique. Il saisissait du premier coup le défaut en chacun, et c’est ce qui le rendait terrible dans les entretiens. L’étude avait fortifié encore cette sagacité naturelle. Reportant ses regards sur lui-même, comment se serait-il dissimulé qu’il manquait d’invention, qu’il n’avait trouvé le sujet d’aucune de ses œuvres dramatiques, qu’en prose il s’était borné à répéter, sans les rajeunir, sans y rien mettre de lui, les genres et les procédés ordinaires ? Cette absence d’originalité avait-elle pour cause l’indolence d’un esprit qui s’épargne la peine de chercher du nouveau ? C’était un laborieux, au contraire ; le travail ne lui coûtait pas ; il s’épuisait à la tâche, mais sans résultat heureux. De là cette tragédie refaite pendant quinze ans ; de là ces ouvrages commencés et restant inachevés sur le chantier ; de là, dans les écrits publiés, l’effort qui se trahit partout, que ses amis sont bien obligés de reconnaître. Et il n’aurait pas remarqué ce qui frappait tout le monde ! Mais si, avec la vue nette des conditions d’une belle œuvre, il dut s’avouer qu’il était impuissant à l’exécuter, s’il se sentit de bonne heure, en pleine jeunesse, condamné à une stérilité lamentable, pour une âme comme la sienne, fière et hautaine, il ne pouvait y avoir de pire supplice. Ce grand mécontent de tout le monde fut d’abord mécontent de lui-même : c’est un mal qui n’a pas de remède. Du jour où il se fut jugé, il souffrit ; mais il se tut.

Son découragement fut si profond qu’il ne trouva pas suffisant de déserter la littérature ; il alla jusqu’à la maudire. Des lors, la célébrité littéraire qu’il avait passionnément souhaitée ne lui paraît plus qu’une infamie illustre[1], que le châtiment

  1. Éd. Auguis, V, p. 291.