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« Il avait une jolie figure, dit aussi Mme de Genlis, et beaucoup de fatuité. » Cette fatuité lui suscita bien des ennemis. Il s’en fit d’autres par son ironie impitoyable. Il avait pour principe de ne ménager personne ; il pensait que « quand on a la lanterne de Diogène, il faut avoir son bâton[1]. » Aussi fut-il détesté d’un grand nombre de gens de lettres. Fier et indépendant (c’était une de ses meilleures qualités), il ne se mit sous l’aile de personne, ne s’affilia à aucune coterie. Il se tint loin des Encyclopédistes, Diderot, Grimm, d’Alembert, et ne flatta point leur puissance. Il ne mendia pas davantage l’appui de Voltaire et garda toujours, en face de lui, une attitude assez raide. Il se trouva ainsi très attaqué et fort peu défendu.

A quelques mois qui lui échappent, on sent que la critique l’a rendu des plus malheureux ; il parle « des méchancetés qu’on lui a faites à chaque succès qu’il a obtenu. » Ce qui le montre encore mieux, c’est que par momens Paris lui devient odieux. Il se décide à fuir les sociétés mondaines où sa conversation jetait tant d’éclat, à s’arracher à des situations qui paraissaient brillantes. Il veut se retirer dans une solitude où l’on n’entendra plus parler de lui. Il résiste à ceux qui essaient de le retenir ; il leur démontre qu’il s’appartient à lui-même et qu’il a le droit de vivre pour lui seul. Une fois même il fixe le jour de son départ : ce doit être « le 10 octobre de cette année 1784[2]. » Et il déclarait que ce départ serait sans retour. En réalité, il ne partit jamais. Il avait songé à s’établir en Languedoc ou en Provence, « dans un pays où les écus de trois livres valent six francs et où l’on n’a que les besoins de la nature, au lieu de ceux de la vanité et de l : opinion[3]. » Il n’alla pas plus loin que Vaudouleurs, près d’Etampes, et il y resta six mois. — Une résolution à laquelle il fut plus fidèle et qui devait, semble-t-il, lui coûter davantage, fut celle de ne plus rien donner au public. Il la prit cependant sans hésiter et eut soin d’en informer ses amis :


Amis, penser, sentir, c’est vivre ; Écrire, c’est perdre du temps[4].


Il disait à un autre avec plus de véhémence qu’il regardait

  1. Éd. Auguis, I, p. 397.
  2. Ibid., V, p. 290.
  3. Ibid., V, p. 292.
  4. Ibid., V, p. 236.