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pleines de sympathies pour la Grèce ; toutes désirent que la Crète lui appartienne un jour ; toutes sont convaincues que fata viam invenient, que ce qui est inévitable trouvera le moyen de s’accomplir ; mais aucune d’elles ne veut se brouiller avec la Turquie, tant à cause de l’intérêt qui s’attache en ce moment à l’œuvre entreprise par le gouvernement de Constantinople, que du besoin qu’elles ont toutes de maintenir de bons rapports avec lui.

On raconte à ce sujet, — nous ne nous portons pas garant de l’exactitude du récit, — que, pendant le séjour qu’il a fait récemment à Corfou, l’Empereur d’Allemagne a été en rapports avec le roi de Grèce et aussi avec son premier ministre. M. Théotokis. L’empereur Guillaume est très sensible aux grands souvenirs du passé qui continuent de mettre une auréole au front de la Grèce moderne ; le soleil de la Méditerranée exerce sur son imagination la séduction d’un mirage : il en est résulté que, dans leurs conversations avec lui, ses interlocuteurs ont cru l’avoir gagné à leur cause, et la lecture, à ce moment, de certains journaux allemands pouvait les maintenir dans cette illusion. Mais, l’Empereur une fois parti, elle n’a pas tardé de se dissiper. Pouvait-il en être autrement ? A supposer que les choses se soient passées comme on les raconte, l’Empereur n’a pas tardé à être repris par les nécessités politiques qui s’imposent à lui comme aux autres. Toutes les puissances cherchent aujourd’hui à maintenir leur influence à Constantinople. Sous l’ancien régime, celle de l’Allemagne était hors de pair. L’Allemagne n’a nullement renoncé à lui conserver ou à lui restituer son ancienne prépondérance : on ne dit pas qu’elle ait échoué dans cette tâche. Appuyée sur l’Autriche, elle joue un jeu très serré en Orient et elle ne sacrifiera, ni à la Grèce, ni à personne, pour des raisons de sentiment, les grands intérêts qu’elle cherche à faire prévaloir. Cette attitude de sa part, si naturelle, si légitime, doit déterminer celle des autres. Ni l’Angleterre, ni la Russie, ni l’Italie, ni nous-mêmes ne subordonnerons nos propres intérêts à ceux de qui que ce soit. Nous ferons tout ce qu’il est politiquement possible de faire en faveur de la Grèce ; nous nous mettrons pour cela d’accord avec les diverses puissances ; mais nous n’avons en ce moment aucune initiative particulière à prendre et, quelles que puissent être nos vues d’avenir, nous n’oublierons pas que nous avons garanti à la Porte le maintien de sa souveraineté sur la Crète.

Est-ce à dire que la Grèce doive abandonner toute espérance ? Non, certes ; nous n’avons rien dit, ni rien pensé de pareil. Il s’agit simplement, pour aujourd’hui, de respecter sous une forme quelconque