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et sa principale colonie, et le maintenir aussi longtemps qu’on leur conservera le privilège dont ils abusent. Le simple bon sens conseille donc de le leur enlever. Le gouvernement en a compris la nécessité et il a déposé devant la Chambre un projet de loi qui suspend, en cas de grève, le monopole de pavillon et l’interdiction, pour les produits africains qui veulent entrer chez nous en franchise, de passer par un territoire étranger. La commission des douanes s’est empressée d’étudier le projet. Le croirait-on ? Elle a accepté la seconde de ses dispositions, mais elle a repoussé la première. La raison en est simple. La conséquence inévitable d’un monopole est d’endormir dans la routine ceux qui en profitent : pourquoi feraient-ils un effort énergique vers le progrès et le bon marché, puisqu’ils n’ont à craindre aucune concurrence et qu’ils sont maîtres d’imposer leurs tarifs ? Ces conséquences se sont naturellement produites dans notre flotte de commerce. Le commerce le sait, il en souffre, mais il le souffre. Le supporterait-il aussi facilement le jour où il aurait pu faire la comparaison entre les avantages de la liberté et le poids onéreux d’un privilège ? Les temps de grève pourraient devenir pour lui des momens de prospérité plus grande, et cela serait d’un mauvais exemple. On comprend donc que ceux qui profitent habituellement du monopole de pavillon s’opposent à ce qu’on fasse, même à titre provisoire et exceptionnel, l’expérience d’un autre régime. Pourtant les faits sont là, les grèves se multiplient, des questions nouvelles se posent et on se demande si les navires sont faits pour le commerce ! ou le commerce pour les navires. Ces grèves continuelles finiront peut-être par nous rendre le service de renouveler quelques-unes de nos idées ; elles nous obligent à réfléchir sur le danger de la protection à outrance ; elles font apparaître à nos yeux le danger encore plus grand de faire de l’État le grand et peut-être l’unique industriel, le grand et peut-être l’unique commerçant, comme le veulent les collectivistes. C’est fort bien d’interdire aux fonctionnaires de tout ordre de se mettre en grève ; mais que deviendra le droit de grève le jour où il n’y aura plus que des fonctionnaires ? L’embarras est déjà considérable aujourd’hui parce que l’État a imprudemment accaparé beaucoup de services qu’il aurait dû laisser à la libre concurrence des énergies privées. Que sera-ce dans quelques années si les rêves collectivistes se réalisent et si l’État prétend suffire à tous nos besoins ? Nous avons l’air de nous éloigner de la grève des inscrits maritimes, mais ce n’est qu’une apparence : cette grève n’est qu’une démonstration de plus du péril que nous signalons.