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comportemens étaient ceux d’un futur chef, et laissaient dans les esprits « la plus profonde persuasion que ses désirs, après s’être une fois élevés vers un objet aussi flatteur et aussi fort à sa bienséance que l’était la double magistrature, avaient pu, il est vrai, s’assoupir, mais seraient prompts à se réveiller dès la première occasion et deviendraient plus vifs en s’irritant par les obstacles mêmes[1]. »

Dans les commencemens, les obstacles parurent considérables, d’autant que les vertus et les qualités de Montyon semblaient elles-mêmes nombreuses et actives ; qu’on le savait fort bien en cour, et principalement auprès du duc de Choiseul ; qu’enfin sa popularité menaçait de devenir très grande. Mais nous avons vu comment, à force de demeurer ferme en ses desseins et inhabile dans l’art de composer, l’intendant perdit peu à peu cette popularité ; pour ses protecteurs, il les perdait de même, un à un, à mesure que baissait davantage le crédit de Choiseul et que montait celui de Maupeou. Tout son passé, et tous les événemens présens contribuaient d’ailleurs à le ranger dans le parti hostile au chancelier : par tradition de famille, et de carrière, il penchait, du côté des parlementaires ; par reconnaissance, il devait à Choiseul, sinon de le suivre dans une disgrâce désormais certaine, du moins de faire grise mine à ceux qui se glorifiaient déjà d’en être les artisans. Par relations de parenté ou d’amitié, il avait appris de Maynon Dinvau, de Trudaine, ou de Mme d’Epinay, à connaître et détester « le petit homme noir, au front bas, aux yeux perçans et durs, au nez carrément pointu, à la bouche désagréable, au teint de bigarrade[2], » dont on disait couramment que ses manières étaient celles d’un Pantalon, et son esprit celui d’un procureur[3].

En Auvergne, personne n’ignorait ces détails, car les ennemis de l’intendant entretenaient des liaisons avec la Cour, Aussi, dès la promulgation, en décembre 1770, du fameux édit qui bornait le rôle du Parlement de Paris et qui annonçait la réforme générale et prochaine de l’organisation judiciaire, une des premières visites de félicitations et de déférence que reçut le chancelier fut celle de M. de Chazerat, venant mettre aux pieds du nouveau Lycurgue son nom, son influence, son zèle et ses talens.

  1. Lettre de M. Decazauvielh, citée plus haut.
  2. Journal de Barbier.
  3. Sénac de Meilhan, Portraits.