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insistance nouvelle était inutile… L’histoire ne dit pas si l’intendant mit alors à exécution ses projets et ses menaces ; mais tout ce que nous venons de rapporter montre assez combien ses rapports avec la noblesse devenaient difficiles, et quels risques courait par-là sa fortune administrative. A la bande des mécontens, il ne manqua bientôt qu’un chef et une occasion. L’occasion, ce fut la crise parlementaire et ministérielle de 1770-1771, le chef, ce fut M. de Chazerat, premier président de la Cour des Aides, à Clermont-Ferrand.

Charles-Antoine-Claude de Chazerat[1], vicomte d’Aubusson et Montel, baron de Ligones, Seychelles, Mirabelle, Saint-Agoulin et autres lieux, appartenait à une famille bourbonnaise dont la noblesse remonte au XIIe siècle, mais qui ne craignit jamais de déroger en se mêlant d’administration, de judicature, ou même d’arts manuels. Le grand-père, ingénieur distingué, collabora aux travaux de Vauban ; le père avait présidé la Cour des Aides de Clermont ; le fils venait d’hériter de cette présidence, lorsqu’en 1767, à la mort de M. de Balainvilliers, intendant, il forma le projet de réunir sur sa tête la qualité de premier administrateur du pays et celle de premier magistrat[2] : heureux s’il pouvait de la sorte éviter, à la noblesse locale, la venue d’un nouveau maître des requêtes, c’est-à-dire de quelque robin, ennemi des privilèges et redresseur des torts. Aussi bien, le cumul des fonctions judiciaires et administratives existait-il déjà dans deux ou trois provinces[3]où la paix sociale et l’harmonie entre les ordres paraissaient admirables. Lors de cette première tentative, M. de Chazerat ne réussit point ; « ses démarches servirent seulement à découvrir ses vues. » Mais il n’en continua pas moins de mener la vie d’un magistrat vraiment né, fort riche et ambitieux à l’excès. Partageant le temps entre sa terre de Ligones, près de Lezoux, et son hôtel de Clermont-Ferrand[4], il tenait un grand état de maison, et son hospitalité, accueillante aux hommes, galante envers les femmes, rivalisait de succès et d’éclat avec celle de l’Intendance. A la ville et au palais, tous ses

  1. Sur les Chazerat voyez Revue d’Auvergne, 1891, p. 161 et Archives du Puy-de-Dôme. On peut voir d’assez intéressans portraits des Chazerat au musée de Riom.
  2. Lettre de M. Decazauvielh, subdélégué de Billom, à Montyon, le 23 mars 1771. Archives de l’Assistance publique.
  3. Tel était, par exemple, le cas de la Provence.
  4. Cet hôtel est aujourd’hui le Palais de l’évêché.