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montraient aussi trop fiers pour fréquenter les gens de robe ; ce qu’ils attendaient de l’intendant, ce n’étaient pas de l’urbanité ou de l’esprit, c’étaient des grâces. Remises sur la capitation, la taille réelle, ou les vingtièmes, exemptions de corvées ou autres services publics, pour leurs fermiers et domestiques, protection légale ou abusive accordée à l’exercice de leurs droits féodaux, tels étaient les objets ordinaires de la conversation qu’ils daignaient entamer avec les bureaux, sous la forme de suppliques et de mémoires. Or, Montyon avait accoutumé d’opposer un refus à presque toutes les demandes de faveur. Que l’on portât un des grands noms de France, ou simplement celui d’un village auvergnat, que l’on se recommandât des parens de l’Intendant, de ses amis, ou de ses protecteurs, le résultat était le même et la forme du refus présentait seule quelque variété. Tantôt Montyon y mettait de l’enjouement, et tantôt du sérieux ; un jour, il raillait avec politesse ; le lendemain, il usait de ruse et négociait ; d’autres fois, il n’hésitait pas à menacer ou même à sévir. En 1768, les habitans de la paroisse de Corans trouvèrent la taille lourde et se plaignirent de ce que leur suzeraine, Mme la marquise de Tana, ne payait pas celle qui grevait un de ses domaines. « Un consul qui avait voulu prendre les voies juridiques pour assurer le recouvrement de l’impôt fut maltraité par les régisseurs. » Montyon connaissait Mme de Tana, il trouva bonne l’occasion qui s’offrait de se montrer magistrat inflexible, sans cesser d’être galant homme ; et, par un singulier mélange de sévérité et de gentillesse, il écrivit, le 28 octobre 1768 : « Je vous prie, madame, de donner des ordres à vos gens pour qu’ils acquittent vos impositions et pour qu’ils respectent un peu plus les fonctions et le dos des consuls… On dit que vous avez tiré un assez bon parti de vos vins, je vous en félicite. Les sentimens que je vous ai voués me font prendre part à tout ce qui peut vous intéresser. Je suis avec respect, etc.[1]. »

Vers le même temps, une vieille querelle venait de se rallumer entre les habitans de Thiers et leur seigneur. Celui-ci n’était autre que Louis Crozat, fermier général, oncle des Choiseul, « le petit oncle, » comme on l’appelle dans la correspondance de Mme du Deffand avec Barthélémy et Mme de Choiseul. Ayant acquis, de ses deniers, la baronnie de Thiers et les droits jadis

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 3938.