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d’artifice ne retombe point sur la ville ; c’est un particulier qui en est lui seul l’auteur, il a voulu se l’aire honneur de son talent pour ces sortes de divertissemens et il ne pouvait avoir de plus belle occasion que le bonheur qui arrive à la famille royale. »

Nous sourions aujourd’hui de ces tout petits incidens, nous y voyons, pour ainsi dire, la menuaille de l’histoire. Montyon, lui, continuait d’y attacher beaucoup d’importance ; il enrageait de ne pouvoir introduire dans les habitudes de ses administrés le souci du bien de l’État, le soin de l’épargner, et le désir de le faire prospérer. Aussi quelles ne furent pas sa colère et sa rancœur, le jour où il trouva les Auvergnats ligués contre la fortune publique, en faveur d’un contrebandier notoire, véritable bandit des grands chemins. Il en pensa perdre l’appétit et le sommeil ; il en négligea le soin de sa santé, pourtant fort ébranlée ; se jetant lui-même à la poursuite du malfaiteur, il faillit troquer la perruque contre le casque, la toge contre l’épée ; ce fut la page héroï-comique de sa vie, et c’est pourquoi, sans doute, on nous pardonnera d’y insister.

Le brigand de Montyon portait un nom prédestiné ; il s’appelait Montagne[1]et répondait dans l’intimité au délicat prénom de Taurin ; âgé d’environ vingt et un ans, haut de cinq pieds quatre pouces, les épaules larges, le visage rond et plein, la lèvre supérieure élevée, les yeux bleus et clairs, il avait d’abord servi au régiment des mousquetaires noirs, qu’il déserta, puis il s’était fixé, autant qu’un brigand peut le faire, à Lezoux, près de Thiers, c’est-à-dire sur l’unique route conduisant de Clermont à Lyon. Son occupation ordinaire était de détrousser les voyageurs ; mais il eut la bonne idée de s’associer à des faux sauniers, et aussitôt il vit croître son prestige en proportion de l’impopularité dont jouissait la Ferme générale. Les femmes lui surent gré de cette nouvelle hardiesse ; les hommes considérèrent que l’intention de partager les bénéfices de la Ferme n’était point si criminelle ; ceux qui n’entraient pas dans ce sentiment se laissèrent intimider, tant qu’enfin au mois de février 1768, et au dire de M. Boudai, subdélégué à Lezoux, « le drôle devint littéralement maître de la contrée. » Fier d’un succès aussi prompt, instruit par tout le monde des moindres recherches entreprises à son endroit, Taurin Montagne voulut

  1. Tous les détails et tous les textes relatifs à l’affaire Montagne sont tirés des Archives du Puy-de-Dôme, C. 1853.