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commença de se manifester. Montyon, aux prises avec la difficulté d’asseoir et de lever l’impôt dans un pays en proie à la famine, ne veut plus alors entendre parler d’aucune espèce de taxe communale. Les propositions de dépenses somptuaires l’indignent et l’irritent ; celles qui intéressent le culte religieux lui-même ne trouvent pas toujours grâce devant sa critique. Voici, par exemple, le corps de ville de Laqueuille dont la supplique est bien touchante : elle expose qu’une des cloches de la paroisse est cassée, « qu’elle est cependant très nécessaire, tant à cause des tonnerres que pour la sonnerie des offices divins… que depuis qu’elle n’a plus sonné, les habitans ont essuyé chaque année des pertes considérables sur leurs récoltes, qu’enfin, le lieu de Laqueuille se trouvant situé au pied des montagnes, il arrive très souvent, en temps d’hiver, que plusieurs voyageurs s’écartent du chemin et qu’il est d’usage alors de sonner la cloche, pour qu’ils puissent faire plus aisément la découverte du lieu. » Ce dernier argument ne laissa pas que de toucher Montyon, il ordonna d’abord d’instruire l’affaire ; mais, quand il connut le chiffre de la dépense, il se ravisa et commanda de la classer[1].

Cependant on était au printemps de 1770 : le mariage du Dauphin de France avec Marie-Antoinette d’Autriche avait été annoncé pour le 16 mai ; dès qu’elle eut pénétré jusques au fond des provinces, la nouvelle y fit battre tous les cœurs et, pour si malheureux qu’ils fussent, les Auvergnats voulurent prendre leur part de la joie nationale ; curés et notables organisèrent des Te Deum, des salves d’arquebuse, des bals populaires ; à Aurillac, on annonça un feu d’artifice, à Billom, on rêva d’un cortège, où paraîtrait le corps de ville, en robes flambant neuves !… Mais, du coup, Montyon s’émut : qui donc payerait la dépense ? et combien de privations ne coûterait pas aux malheureux tout ce luxe de costumes et de pyrotechnie ? Aux officiers municipaux de Billom, représentant que leurs robes, rongées par les mites, ne peuvent même plus servir à habiller les clercs de ville, et qu’ils sont obligés d’emprunter celles du palais, pour assister aux processions, Monseigneur l’Intendant répondit donc que « nulle dépense n’était moins nécessaire[2]. » Et pour le feu d’artifice, il n’y consentit qu’après avoir reçu de M. Pages de Vixouses, subdélégué à Aurillac, cette nouvelle rassurante : « La dépense du feu

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 2339.
  2. Ibid., C. 912.