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rappeler à Votre Grandeur, » écrit M. Gueynier, subdélégué à Brioude, « qu’un soi-disant ermite est détenu depuis près de trois mois dans les prisons de cette ville. Son sort me paraît digne de pitié, s’il n’est coupable d’aucun crime. » Et aussitôt Montyon décide de tenter une démarche personnelle auprès de Choiseul ; ayant persuadé le ministre, il revient en Auvergne avec l’ordre de lever l’écrou ; sa joie est si grande, il la contient si mal qu’on croirait voir passer le sauveur de la province[1].

Dans le moment où il réussissait ainsi à diminuer le nombre des renfermés, Montyon s’efforçait, par voie de conséquence, de favoriser la création ou le développement des manufactures auvergnates ; la verrerie, le tissage et la peinture des toiles, l’industrie de la soie, les pépinières[2], recevaient, grâce à lui, l’approbation et les encouragemens officiels. Mais ce qui leur manquait encore, c’étaient les débouchés, ou plutôt les voies de communication qui permettent d’y parvenir. Dès longtemps, Montyon avait recueilli là-dessus les enseignemens du grand Trudaine et connu l’importance de ce facteur économique, que nous appelons aujourd’hui la route, et qu’il appelait bonnement le chemin. « La facilité des communications, disait-il, forme un peuple nouveau, et les chemins servent au bonheur de l’homme. Ils servent à la propagation des lumières ; sous différens aspects, ils servent enfin la richesse ; tant qu’il n’existe pas de communications, chaque pays n’est riche que de sa propre richesse, et certaines contrées sont pauvres, au milieu de la richesse générale[3]. »

Partant de ces principes, l’intendant d’Auvergne nourrissait et avouait le désir de percer à travers ce pays, en apparence impraticable, un réseau de routes, rattachant, d’un côté, la Limagne, à toute la région industrielle du Forez et du Velay, de l’autre côté, la Basse-Auvergne, productive de céréales, de vins et de fruits, à la Haute-Auvergne, susceptible de pratiquer l’élevage Par une rencontre singulière, ce fut un malheur public, la célèbre disette de 1770, qui lui permit de réaliser en partie cet ambitieux projet.

La récolte de 1769 avait été mauvaise[4] ; en plein été, dès

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 572.
  2. Ibid., C. 241.
  3. Fragment manuscrit, Archives de l’Assistance publique.
  4. Tous les détails et tous les textes qui suivent, concernant la disette de 1770, en Auvergne, sont tirés des Archives du Puy-de-Dôme, C. 906 à 926.