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Et nul ne troublera notre veille. Parfois,
Lorsque l’émotion fera trembler nos voix,
Et que nous nous tairons d’avoir nommé sans crainte
Quelque antre fabuleux ou quelque source sainte :
Hippocrène et son flot, Delphes et son laurier,
Alors, presque peureux et prêts à le prier
De ne pas nous punir de notre audace impie,
Nous croirons voir rôder, dans la chambre assombrie
Où la lampe charbonne auprès de l’âtre éteint,
Fantôme familier à la fois et hautain,
Quelque vieux roi d’Argos paternel et farouche
Qui, loin de châtier nos yeux et notre bouche,
D’un geste, à son baiser, tendra l’antique anneau
Où rue en l’or massif l’empreinte d’un taureau.


LE MIROIR


Les Dieux m’aiment, Passant ; c’est pourquoi je suis morte
Dans l’éclat parfumé de ma jeunesse en fleur ;
Jusqu’au trépas ma joue a gardé sa couleur,
Et mon corps est léger au destin qui l’emporte.

Que le printemps sans moi reparaisse, qu’importe !
Ne crois pas que mon sort mérite quelque pleur
Parce que, quand viendra l’été lourd de chaleur,
Je ne m’assoirai plus sur le seuil de ma porte :

Je ne regrette rien de la clarté du jour.
J’ai vu ta face, ô Mort, et ton visage, Amour !
A qui fut doux l’amour la mort n’est pas cruelle.

Je descends vers le Styx et non vers le Léthé,
Car, pour me souvenir que, là-haut, je fus belle,
N’ai-je point le miroir où riait ma beauté ?