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souligne le résultat. Elle est de nature à faire craindre que, loin de clore l’ère des complications, la crise que nous venons de vivre n’en soit que le prélude ; elle signifie que, dans les mers qui entourent la péninsule balkanique, l’Autriche-Hongrie est décidée à faire figure de puissance maritime, à ne céder à personne l’empire de l’Adriatique et à revendiquer, dans tous les événemens de l’Orient méditerranéen, un rôle de premier plan. Le prince Louis de Bavière, dans une allocution, a célébré comme un progrès du germanisme cet accroissement prochain des forces offensives de l’Autriche-Hongrie ; les journaux allemands ont aligné les futurs cuirassés, à côté de ceux de l’Empire, en face de la flotte britannique, tandis que la presse anglaise constatait avec humeur la difficulté croissante de maintenir le principe du two powers standard. Ainsi viennent se classer les incidens particuliers de la vie politique dans l’ensemble des grands faits et des évolutions générales : vue de très haut, la récente crise apparaît comme un épisode de la rivalité anglo-allemande ; c’est du moins l’un de ses aspects.

Succès de la Triple Alliance, mais surtout succès de l’Allemagne. Elle a très habilement tiré parti de la crise ouverte par le baron d’Æhrenthal. S’il est vrai, comme l’a dit le prince de Bülow, qu’il fut « informé en même temps que l’Italie et la Russie, » il sut du moins n’en pas prendre ombrage ; il a joué avec à-propos le rôle d’allié fidèle pour rester l’allié indispensable. Il est rare que l’infinie complexité de la vie politique permette de mûrir et de mener à bien des desseins longuement prémédités ; le grand homme d’Etat est celui qui apprécie en réaliste les circonstances et sait les faire tourner à son avantage. Adolf Stein, dans son curieux livre sur Guillaume II, dit, du prince de Bülow qu’il est « presque toujours le diplomate qui bâtit son système sur les faiblesses des autres. » Le chancelier de l’Empire a, dans la dernière crise, parfaitement justifié cette définition. Durant les premières semaines, il parle des événemens d’un ton détaché, comme d’incidens qui n’intéressent l’Allemagne qu’à cause de ses alliances : sa seule politique sera d’être un allié fidèle ; il montrera même plus de zèle que les traités ne l’exigent, car il promet l’appui de l’Allemagne, même pour le cas où l’Autriche se croirait obligée de prendre l’offensive. Il se lie ainsi à l’Autriche pour la bonne et la mauvaise fortune, mais, du même coup, il la lie à lui : il sait que, dans toute association, c’est