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austro-turc, dont le texte venait de lui être communiqué, et que, par conséquent, elle reconnaissait le fait matériel de l’annexion, son exemple pourrait être suivi par les autres puissances, et, dès lors, la question se trouverait résolue, qu’il y eût ou non, par la suite, une conférence ; la Serbie ne serait ni formellement exclue, ni appelée, elle demeurerait en dehors du débat, mais elle n’aurait plus le tribunal d’appel auquel elle s’était adressée. La France, n’étant pas la plus directement intéressée, pouvait difficilement prendre une initiative par laquelle elle aurait risqué d’ébranler son union avec la Russie : le projet n’eut pas de suites. A mesure que s’écoulaient les jours, les chances de paix paraissaient diminuer ; les gouvernemens, à l’envi, affirmaient leurs vœux pacifiques ; l’empereur François-Joseph et l’archiduc héritier exprimaient leur désir de ne pas recourir au canon, et la partie la plus éclairée de l’opinion austro-hongroise ne voyait pas approcher, sans de vives appréhensions, la perspective d’une longue et difficile campagne en Serbie et au Monténégro et d’une occupation de Belgrade, avec toutes les difficultés diplomatiques qui en pourraient sortir.

Dans cette extrémité, l’empereur François-Joseph fit appel à son allié l’empereur Guillaume II. A Berlin, on attendait cette heure que, depuis longtemps, on sentait s’approcher ; l’Allemagne était jusqu’alors restée en seconde ligne, laissant les initiatives et les décisions à l’Autriche qui n’avait consulté personne avant de s’engager dans l’affaire de Bosnie. Le 7 décembre, dans un discours, le prince de Bülow disait : « Nous n’avons pas de raisons de nous laisser pousser au premier rang par des puissances plus immédiatement intéressées ; » il déclarait que la politique de l’Allemagne serait de soutenir son alliée, quoiqu’elle pût faire ; mais, ajoutait-il, « cette politique n’a pas de pointe contre la Russie ; » elle n’en a pas non plus contre l’Angleterre, car « l’Allemagne et l’Angleterre ne se font pas concurrence à Constantinople. » Le Cabinet de Berlin s’était prêté aux tentatives conciliatrices de l’Europe dans la mesure où l’Autriche le désirait, juste assez pour ne pouvoir être accusé d’envenimer les querelles et de pousser à un conflit que, sincèrement, il ne cherchait pas. Sans bruit, la vieille querelle marocaine avait été liquidée ; et maintenant on était prêt ; l’Empereur allait apparaître au bon moment, comme le deus ex machina de tout cet imbroglio diplomatique, comme l’arbitre de la paix, comme le