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pu croire dernièrement que la prédiction du grand diplomate russe allait se réaliser intégralement ; la question slave a été posée ; peu s’en est fallu que la fusée n’atteignît les poudres. La question d’Orient, qui met en jeu tant d’intérêts, est la pierre de touche des combinaisons d’alliances et d’ententes européennes : le moindre déplacement de l’équilibre balkanique a ses répercussions dans la politique de tous les grands Etats. Engagé à propos de la Bosnie, le conflit diplomatique n’a pas tardé à s’amplifier en une lutte pour l’hégémonie et, par la force des circonstances plus encore que par la volonté des hommes, il a mis aux prises les groupemens rivaux qui se partagent l’Europe et qui cherchent à y exercer une influence prépondérante. Nous avons vu comment l’Europe était entrée dans la crise : voyons comment elle en sort. L’histoire d’une bataille diplomatique, ses grandes phases, ses incidens marquans, ses résultats pour chacun des combattans, c’est ce que nous voudrions exposer ici.


I

« Napoléon arrive ; il est dans l’air ! » s’écriaient les généraux de la Coalition, lorsque, à l’activité des troupes françaises, à la précision de leurs mouvemens, ils reconnaissaient la présence d’une volonté souveraine et ordonnatrice. « Bismarck est dans le jeu, il tient les fils, il inspire les diplomates et prépare les événemens, » c’est, quand on étudie l’histoire de la grande crise qui, de 1875 à 1878, a si rudement secoué et troublé l’Europe, la réflexion qui s’impose à l’esprit. La continuité dans les desseins, la coordination dans les actes, la prévision lointaine, conséquence de la vision précise des réalités et de l’évaluation exacte des forces, c’est, dans l’histoire, la marque des grands maîtres de la guerre ou de la politique. Rien de tel n’apparaît dans l’histoire de la crise balkanique qui vient de s’achever ; dans la complexité des négociations, si l’on cherche un fil conducteur, on ne le trouve pas, ou l’on en trouve plusieurs, qui s’enchevêtrent. La politique se fait au jour le jour, sans plan, sans méthode, sans grandes vues : les événemens conduisent les hommes, et non les hommes les événemens.

Il est permis, tout en rendant hommage à ses capacités très distinguées, de se demander si le baron d’Æhrenthal, lorsque la Révolution turque le décida à transformer en annexion