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moines faisait communiquer le passé et le présent ; il donnait le paysage vrai pour décor à une antiquité à demi fabuleuse ; il évoquait les héros de la légende foulant le même sol que les voyageurs et gagnant par les mêmes étapes les mêmes sanctuaires. On devine quelle pouvait être l’excitation religieuse, poétique et guerrière de ces foules en marche vers le tombeau des apôtres. L’esprit de sacrifice et d’aventure était en elles : c’était l’époque des premières croisades et le mouvement des esprits qu’elles déterminaient inclinait à mieux comprendre les luttes d’autrefois contre les Sarrasins. Le livre de M. J. Bédier nous suggère ici des spectacles qui ont leur magnificence, et comme une découverte d’érudit n’acquiert toute sa valeur que par son rapport à l’histoire générale, il nous éclaire non pas seulement sur un fait d’ordre littéraire, mais sur la vie d’autrefois. Il nous fait entrevoir tout ce qu’il pouvait y avoir d’enthousiasme et de foi dans les offices liturgiques en l’honneur des saints athlètes de Dieu, dans les prières récitées en commun près des tombeaux illustres. Quel auditoire mieux préparé à entendre des chansons héroïques et saintes ?

L’influence monastique sensible dans la documentation des légendes ne l’est pas moins dans la qualité des élémens moraux qui forment les chansons. Toutes ces vieilles épopées de France sont à la vérité exemptes de développemens philosophiques et de prédications, mais elles ont toutes un sens, et ce qui n’y est pas d’ordre Imaginatif ou héroïque témoigne d’une réflexion chrétienne. Elles semblent nées d’une méditation sur une tombe. Les personnages qui reposaient dans les sanctuaires avaient été des grands du monde. Ils s’étaient appelés Guillaume, Raoul, Girard, Berthe, Aalais ; ils avaient eu des vies éclatantes et troublées ; ils avaient été batailleurs, orgueilleux, violens ; à la fin de leur existence, ils avaient sacrifié des richesses et fondé une abbaye. Leurs destinées tragiques s’étaient achevées par le repentir. Quelques-uns parmi eux avaient même été de très grands pécheurs. Un fol orgueil inspire au chevalier Ogier sa révolte contre son roi ; la violence dicte à Girard ses détestables projets. Lorsque Bossuet racontera plus tard la vie des princes pour en tirer un enseignement, il y mettra sans doute plus d’art, une connaissance plus profonde du cœur, un sens plus humain des passions, une science plus délicate du remords. Mais la leçon demeure sensiblement la même. Dieu, qui voit les erreurs et les