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non contre les Sarrasins ; c’est ainsi encore qu’en 778 Charlemagne avait trente-cinq ans et n’était pas l’Empereur vénérable à la barbe fleurie que la chanson nous fait admirer ; c’est aussi enfin que ce fait d’armes, si frappant, dit-on, pour l’imagination populaire, si national, si célèbre, n’est signalé par aucun autre texte, ni au IXe siècle, ni au Xe, ni au XIe. Ces difficultés et bien d’autres ont invité M. Bédier à un examen nouveau de la question, et l’ont conduit à une conception nouvelle : la voici.

Une légende ancienne veut que Charlemagne ayant fait un songe soit parti, guidé par les étoiles que saint Jacques avait semées dans les cieux et se soit acheminé avec ses pairs au-delà des Pyrénées vers de prodigieuses aventures de guerre et de chevalerie. La voie lactée porte en bien des régions le nom de voie de Saint-Jacques, et Charlemagne est célèbre au moyen âge comme le premier pèlerin de Compostelle. C’est cependant vers l’année 830, quinze ans après la mort de Charles, que des gens d’Amea dans le diocèse d’Iria Flavia, en Galice, découvrirent sous des broussailles, dans un bois, un tombeau de marbre blanc qui était celui d’un riche Romain. Bien que l’apôtre saint Jacques, fils de Zébédée et frère de saint Jean l’Évangéliste, ne fût pas allé en Espagne, les gens d’Amea pensèrent que la tombe par eux découverte était celle du saint, et, on ne sait comment, firent partager cette opinion. Le culte galicien fut d’abord très modeste, car les Sarrasins étaient maîtres du pays, et il n’y avait aucune sécurité sur les routes. Mais, par la suite, le pèlerinage de Galice se développa rapidement : les chemins devinrent meilleurs, des ponts furent construits, de nombreux hospices s’élevèrent sur le trajet ; un homme volontaire et ambitieux, Diego Gelmirez, évêque de Compostelle, donna au culte de saint Jacques toute son ampleur. Il l’organisa ; il le répandit ; il attira les pèlerins en foule. Devenu puissant, il obtint que l’évêché de Compostelle dépendît de Rome directement, puis qu’il fût transformé en archevêché ; il leva des troupes ; il construisit, dans Compostelle une basilique splendide. Grâce à ses efforts, le pèlerinage de saint Jacques devint, dès le XIIe siècle, l’un des trois pèlerinages majeurs : Rome, Jérusalem, Compostelle, c’étaient là les lieux saints « par devant les autres en révérence, » dit une vieille chronique, et le succès de Diego Gelmirez est attesté par bien des faits. C’est à cette époque que paraissent des Guides de pèlerins, habilement rédigés pour la propagande ; que se crée l’ordre de