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qui allaient à Vézelay honorer sainte Marie-Madeleine de Béthanie et les inviter à voir les tombeaux de Girard et de Berthe dans l’abbaye de Pothières. Mêmes explications encore pour les souvenirs d’Italie contenus dans les chansons de geste : M. Bédier leur a consacré l’un des chapitres les plus vigoureux de son second volume ; il montre par une analyse précise que tout ce que les jongleurs connaissent de l’Italie se rattache à des étapes du pèlerinage de Rome, à l’abbaye de Novalèse, au sanctuaire de Mortara, à Lucques, à Sutri, à Imola, à Gênes et Brindisi, lieux d’embarquement pour la Terre Sainte, et pas un épisode des légendes n’a pour théâtre une ville, un paysage qui ne pût être vu de leurs yeux par les pèlerins.

Et même raisonnement enfin pour la Chanson de Roland, qui mérite une explication un peu plus développée, étant la plus connue de nos épopées. Elle fera l’objet du troisième volume de M. Bédier, mais elle a été étudiée par lui dans le cours qu’il professe au Collège de France. Tout le monde connaît le poème du début du XIe siècle, dont le texte nous est parvenu. Charlemagne venait de battre les Sarrasins en Espagne, et il avait passé les Pyrénées quand son arrière-garde commandée par Roland fut attaquée dans les défilés de Roncevaux et, après une héroïque défense, tout entière massacrée. Sous l’impression immédiate de cet événement tragique, des chants populaires seraient nés, que les générations se seraient transmis, et la floraison dernière de ce travail poétique aurait été la Chanson de Roland. Les chants les plus anciens auraient été composés, d’après Gaston Paris, dans l’armée même de Charlemagne, par un témoin, et l’un des historiens les plus récens et les plus remarquables de l’épopée française, M. Pio Rajna, n’est pas au fond d’un autre avis quand il écrit que l’épopée a dû naître immédiatement sous une forme plus brève au lendemain du désastre[1]. Cette explication traditionnelle laissait certains points obscurs : c’est ainsi que les chroniques carolingiennes mentionnent un combat d’arrière-garde livré le 15 août 778 par Charlemagne qui revenait de Saragosse, contre les Basques et

  1. La différence entre la thèse de Gaston Paris et celle de M. Pio Rajna ne pourrait être précisée sans entrer dans certains développemens qui n’auraient pas leur place ici. Qu’il nous suffise d’indiquer que, pour Gaston Paris, les chants primitifs étaient ce qu’il appelle des Chants lyrico-épiques ; M. Pio Rajna pense que ces chants composés au lendemain de la bataille étaient déjà des épopées.