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guerres glorieuses célébrées par tout l’univers ; il a pris la peine de rédiger un petit résumé des expéditions contre les Sarrasins et des luttes autour d’Orange, celles-là mêmes que chantent les poèmes. « Lorsque Guillaume, dit-il, eut conquis Orange, il la garda pour lui, et en fit sa résidence principale ; et c’est pourquoi cette ville par la gloire d’un si grand guerrier est illustre aujourd’hui dans le monde entier. Quant à raconter les autres exploits de Guillaume et quelles grandes luttes il a soutenues contre les barbares d’outre-mer et les Sarrasins ses voisins, comment par la force de son épée et avec l’aide divine, il a sauvé le peuple et agrandi l’empire chrétien, je pourrais le raconter, mais ce serait la matière d’un grand volume. » Voilà certes un personnage dont la vie a été brillante et bien remplie. Sa gloire est célébrée par deux sortes d’apologistes bien différens, des religieux perdus dans une vallée sauvage du Midi, qui conservent la mémoire d’un saint ayant jadis habité parmi eux, et des poètes qui, comme on sait, écrivent en langue vulgaire et sont des gens du Nord. Et ces deux légendes du Nord et du Midi, des monastères et des chansons, sont d’accord, et elles sont grandioses.

Que dit l’histoire ? et n’est-elle pas, pour un héros qui semble avoir tenu tant de place en son siècle, riche en détails biographiques ? L’histoire, contrairement à ce qu’on attend, ne dit rien ou presque rien. Quand elle parle, elle parle autrement que la légende : elle sait ce que ni les poètes ni les religieux ne savent ; elle ignore souvent ce qu’ils racontent. Qu’on en juge : Guillaume, comte de Toulouse, qui est un personnage réel et qui a évidemment servi de modèle à l’épopée, était un Franc du Nord, fils du comte Thierry, et d’Aude, une des trois filles de Charles Martel, cousin germain par conséquent de Charlemagne. Il remplissait de hautes fonctions administratives, soumit les Gascons révoltés, et les gouverna ; puis il lutta sans grand succès contre les Sarrasins qui venaient de passer les Pyrénées ; il prit part dans la suite à une expédition contre Barcelone, et enfin, dans sa vieillesse, il se fit moine. C’est là tout ce que nous apprennent les chroniques et en vérité c’est peu ; mais c’en est assez pour que l’on s’aperçoive combien histoire et légende concordent mal l’une avec l’autre. Ni la parenté illustre du héros, ni ses fonctions, ni ses démêlés avec la Gascogne ne sont connus des poèmes : le comte de Toulouse accomplit des actes dont Guillaume d’Orange