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où s’agitent d’étonnans personnages, royalistes et jacobins ; des Saint-Réjant ou des Aréna. Mais un être de légende, figure à la fois farouche et joviale, superbe et grimaçante, domine tous ces hommes de complots, de scélératesse et d’assassinat : le meunier de Kerléano, George Cadoudal. Nous essaierons, en de nouveaux récits, de montrer le Chouan formidable, à Paris, au milieu de ses chevaliers de la brande, et de mettre « M. Larive, » « Gédéon, » le « Papa, » aux prises avec le Grand Consul, ses délateurs et ses policiers. La Conspiration de l’an XII sera donc notre prochain sujet d’étude.

Les aventures de pareils compagnons, — un Fournier, un Donnadieu, un George Cadoudal, — doivent être contées, pensons-nous, d’après les procédés qu’emploie notre roman moderne : l’observation des caractères, la peinture des mœurs, et la description des milieux sociaux ; la couleur locale et son pittoresque, le mouvement et la mise en scène. Le narrateur a l’obligation de faire œuvre de psychologie… Mais l’âme d’une génération absorbée dans la mort est assez difficile à comprendre. Nos pères ne sont pas tout entiers passés en nous, et l’ancêtre de 1802, aimant ou détestant, est autre que l’enfant de son fils, notre contemporain. Son étrange conception d’une société qu’il estima possible : — l’union sexuelle sans le mariage ; « l’amie » tenant lieu d’épouse ; l’amour n’engendrant pas le devoir familial ; l’absolutisme valant mieux que la liberté ; la victoire absolvant la conquête, et l’humanité n’ayant aucun besoin d’un dieu, — effarouche, aujourd’hui, nos préjugés, révolte nos croyances. Son langage même a changé ; il a vieilli : la grandiloquence de sa rhétorique ou les mièvreries de ses badinages nous étonnent et nous font sourire. Rien ne reste plus de cet homme, — rien qu’une poussière de tombeau.

Mais les documens d’archives, les Mémoires et les journaux, le roman et le théâtre sont là pour nous renseigner. Les uns relatent des faits ; les autres dévoilent des âmes. Or, ceci nous fait comprendre cela, car la raison d’un acte s’explique par la mentalité de son auteur…

L’Histoire, psychologie du passé, devrait interroger davantage ces manieurs de l’âme humaine, le romancier et le dramaturge. Toute société se reflète en sa littérature, miroir fidèle de ses beautés et de ses laideurs… L’Hermione, la Roxane, l’Eriphile d’un Racine, ces furies de l’amour, sont les