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un cabaret pour anarchistes. Les jacobins du cru, Champenois à principes, fréquentaient un joyeux bouchon où l’on parlait des Droits de l’Homme, en lutinant des Paméla ; chaque soir, ils y faisaient tapage, hurlant la chansonnette obscène ou la « carmagnole » subversive. Maints couplets séditieux, produits de Tyrtées royalistes, se fredonnaient alors dans les tabagies, outrageant le Consul ; ineptes pantalonnades et calotines grossières :


De l’Égypte quand il revint,
Voici le discours qu’il nous tint :
« La paix et le bonheur !
Je suis votre sauveur. »
Ah ! ah ! quelle carmagnole !

Du peuple français assassin,
Le bandit corse, de sa main,
Nous a bien travaillés,
Nous a bien mitraillés…
Ah ! ah ! quelle carmagnole !


Certes, ce n’était pas du Pindare ; le sublime Lebrun eût rimé beaucoup mieux ; mais la haine et l’insulte n’ont guère besoin de vers académiques… Le patron du café faisait chorus à ces buveurs. Il siégeait au comptoir, vêtu en général, sabre au côté, épaulettes sur l’uniforme, coiffé du chapeau à étoiles : un scandale !… Pourtant, le préfet de l’Yonne, l’austère La Bergerie, — gentil nom de préfet ! — veillait sur son bercail ; même il avait en vain averti Fouché : « Le cabaret de l’ex-général est une sentine de crapule !… Que dois-je faire ? Envoyez-moi des instructions. » Et Fouché de répondre, mais en style administratif : « Laissez-le boire, laissez-le rire !… » Police accommodante, préfet réduit à l’impuissance ; aussi, dans la « sentine de crapule, » le charivari continuait.

Or, dans les derniers jours de l’été, tandis qu’en la guinguette carmagnoles et couplets licencieux faisaient rage, un commissaire en poussa la porte, suivi de ses gendarmes. Oh ! ce fut une défense héroïque, un autre siège de Mayence ! Argoud se rebiffa, protesta, s’indigna, tira le sabre et gâta complètement son affaire… « Bah ! empoignez cet homme, » et en route pour Oléron ! — l’île d’Oléron était la dernière étape de ceux qu’on expédiait à la Guyane. Une charrette attendait, avec sa botte de paille pour seuls coussins et capitons ; sans lui permettre de