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vivant avec Lisette, naguère sa femme de chambre, et même avec Lison, fille de sa Lisette ; leur payant tuniques athéniennes, joyaux étrusques, turbans à la Zétulbé avec un argent, hommage des maisons de tolérance ; offrant à ses collègues de plantureux soupers ; glissant sous leurs serviettes nouveautés libertines et récentes pornographies ; goûtant lui-même, avec délices, la saveur de cette littérature, et préférant à un traité de Cabanis la prose du marquis de Sade ou de Rétif de la Bretonne, — bref, resté procureur de l’ancien Châtelet, c’est-à-dire le plus folâtrant des avoués… Mais le voleur et l’assassin connaissaient un autre Dubois, préfet de police très policier, le plus vilain « daron de la rousse, » au dire de ceux qu’il faisait bâtonner. Il était l’effroi de tous les fauteurs de complots. Ressentant une égale horreur du chouan et de l’anarchiste, le préfet conseiller d’Etat employait d’industrieux moyens pour les ramener aux sains principes : la torture des poucettes, le gourdin moralisateur, la moisissure indéfinie dans un cul-de-basse-fosse, à Bicêtre. Brutal, tout en restant sournois, il était détesté. Son nom, sa morgue, ses prétentions, ses scandaleuses amours, défrayaient les plaisanteries ; on riait de ce tortionnaire, à une époque où même le rire était réputé séditieux : «… Du bois bon à peine à scier ! Du bois dont on ne fait pas des flûtes ! » et autres calembredaines qui couraient cafés et salons. Bonaparte méprisait un tel personnage et néanmoins le maintenait dans son emploi. Un philosophe à la Préfecture de police n’eût certes pas été son homme ; il préférait y voir un maître-gonin. A chacun son métier, pensait ce contempteur de l’âme humaine : Talleyrand, pour les diplomates, et Dubois, pour les malandrins[1].

La délation de Péretti arrivait au moment favorable. Dubois, à l’insu de Fouché, venait de débrouiller l’imbroglio des Libelles ; il soupçonnait partout des conspirations, les découvrait ou bien les inventait, et chaque jour racontait, à la Malmaison, de merveilleux romans. Chargé par le Consul de recevoir la déclaration du révélateur, il espérait prouver à Bonaparte que l’homme au teint bilieux et de tournure chafouine, le ministre du quai Voltaire, n’était qu’un maladroit félon. Antonio fut donc le bienvenu… « Asseyez-vous, citoyen Péretti ; nous avons à causer ensemble… »

Ils causèrent.

  1. Voyez, dans notre Complot des Libelles, le portrait que nous avons tracé de Dubois, et le récit de sa lutte avec Fouché.