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des Flora, et les finances de la conjuration ressemblaient fort à celles du défunt Directoire.

Quand le Brutus se trouva mis au point, on lui fit prêter un serment solennel. La cave ou l’appentis du menuisier Grégoire, 88, rue de la Liberté[1], fut le sanctuaire où se passa la cérémonie. D’après quels rites s’accomplit-elle ? Les documens de la Police auraient bien dû nous renseigner. Nous pouvons cependant, sans trop d’invraisemblance, imaginer quelque sinistre comédie. Ayant déjà conspiré à Milan, les chefs de la Patience imitaient peut-être les théâtrales et funèbres mises en scène à l’usage des « ventes » italiennes. Le néophyte allongea-t-il la main sur des épées ou des poignards, des crânes ou des fémurs ; à la clarté des torches ou dans l’horreur de terrifiantes ténèbres ; devant des hommes masqués, vêtus de noir ou d’écarlate ? Nous ne savons, et c’est dommage : il serait plaisant de connaître jusqu’où allait, à cette époque, la niaiserie romantique. Du reste, squelettes et francs-juges n’étaient pas mascarades à effaroucher Péretti ; il avait vu bien d’autres farces dans les caveaux du Palais-Royal. Les chefs de la société secrète comptèrent une avance à leur Brutus, et il jura de « tuer ou de mourir. »

L’assassinat du Premier Consul avait été décidé pour le 25 prairial ; mais soudain de fâcheux événemens jetèrent le désarroi dans une entreprise aussi bien agencée.


Tandis que Coin-Clément façonnait Antonio, le Bon Louis continuait à narguer la police. L’impunité l’avait enhardi. Fin gourmet, joyeux drille, il dînait chez ses confrères, les éditeurs, ébauchait avec eux des affaires de négoce, et, don Juan de la librairie, présentait à ces puritains la demoiselle, délice de son double logis. Mais, nous apprend le fabuliste, « tel cuide engeigner autrui, qui souvent s’engeigne soi-même. » Le badin Fauche-Borel, qui lisait tant Rousseau, ne pratiquait pas assez La Fontaine.

Un soir qu’il traversait le carrefour de la Croix-Rouge, le cher homme s’entendit appeler :

— Monsieur Fauche, à Paris ? Quelle heureuse rencontre !

— Heureuse pour moi surtout, monsieur de Noisy !

Mais, au fond de son cœur, le Bon Louis se disait : « La peste

  1. Rue Monsieur-le-Prince. Les maisons, en 1802, étaient numérotées par quartier.