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Lauzun, était le commandant réformé Coin-Clément. Quand il-ne vaguait pas dans le Palais-Royal, le Tondu allait, rue du Four, trinquer avec les camarades. Son épaulette à graines d’épinards brillait alors, superbe, au milieu des petites épaulettes, et sa coiffure à la Titus rendait pensive la maigre Virginie comme la plantureuse Malvina.

Or, un soir de prairial, Coin-Clément remarqua, parmi ces mangeurs d’échaudés, un capitaine à tournure de gavache, et qui ressemblait plutôt à un escarpe de la rue Galande qu’à un officier de l’armée française. Noiraud, petit, bien musclé, il portait l’uniforme de l’Infanterie légère. Une femme l’avait accompagné, brunette d’aussi minable apparence, vêtue comme une ouvrière dans son fourreau d’indienne défraîchi. Coin-Clément connaissait la figure de ce personnage : Péretti, Antonio le Corse, un des Brutus qu’avait naguère proposé Nicolas ; mais les meneurs de la Patience n’en avaient point voulu. La face patibulaire et l’aspect inquiétant de ce marmiteux avaient effarouché leur délicatesse : un Brutus, pensaient-ils, devait payer de mine, porter du linge, avoir aux pieds des chaussures moins béantes… Imbéciles scrupules, se dit aussitôt le Tondu : une pareille misère se vendrait à bon compte !… Et il se dirigea vers Péretti :

— La mise en réforme, capitaine, aurait dû épargner un vaillant tel que vous.

L’autre, tout en dévorant, grognonna :

— Les temps sont durs, mon commandant !

— Durs, très durs en effet ! Seule une révolution pourrait nous ramener des jours heureux. Mais il faudrait un brave qui osât l’accomplir.

Per Bacco, qu’était cela ?… Antonio devint attentif : ce Coin-Clément l’intéressait[1].


Originaire de Levia (Liamone), Antonio Péretti était Corse, né au pays de la farouche vendette et des bandits vengeurs. Contadin ou bourgeois ; croquant ou caporale ? nous l’ignorons.

  1. «… Se trouvant chez Belgrano avec beaucoup d’autres personnes, Clément s’approcha de lui (Péretti) et lui demanda pourquoi il avait été mis en réforme. Il (Péretti) se prêta à cet interrogatoire, et s’aperçut qu’il était au milieu de mécontens du Gouvernement. Clément lui dit que les choses ne pouvaient plus aller ainsi, etc. » (Supplique de Péretti au Premier Consul.)