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l’inopportunité de la grève était notoire : néanmoins, devant des supplications qui devenaient de plus en plus ardentes, j’ai cédé et j’ai fait la déclaration qu’on attendait de moi. Je n’ai pas voulu prendre la responsabilité de laisser s’éteindre, faute d’un peu d’entretien, la torche qui fumait encore. Mais je m’en suis expliqué avec les représentans du syndicat des postes, et eux du moins ont su qu’ils n’avaient rien à espérer des « cheminots. » Dès lors, ils n’ont aucun reproche à me faire. — Eux, c’est possible ; mais en est-il de même des quelques centaines de grévistes qui continuaient encore la grève ? Les complices de M. Guérard n’ont rien à lui reprocher, soit ; mais les autres ? Singulière morale que la sienne ! Les casuistes les plus subtils n’en ont jamais eu de plus perverse. M. Guérard satisfait sa conscience délicate au moyen d’une direction d’intention ; mais est-ce une bonne intention que celle qui consiste à maintenir de pauvres gens dans une erreur destinée à les conduire à une déception cruelle ? N’aurait-il pas mieux valu les éclairer tout de suite sur ci ; que le dénouement avait d’inévitable ? Ainsi les postiers se sont mis en grève sans raison et y ont été maintenus par un mensonge. Ils n’avaient pas mesuré leurs forces, et, quand ils ont vu qu’elles leur échappaient, à la veille de l’effondrement final et fatal, on leur a jeté de la poudre aux yeux pour prolonger d’un jour leur illusion, qui n’était déjà plus celle de personne autour d’eux. Le syndicalisme, ainsi pratiqué, perd tout droit de vilipender le parlementarisme : il lui donne sa revanche, comme il l’a donnée au gouvernement.

La comédie semblait finie lorsqu’on y a ajouté un dernier acte qui, vraiment, fait longueur. Les postiers révoqués, éperdus, ne savaient plus où donner de la tête. Comme dans toutes les grandes batailles perdues, le mot de trahison s’élevait avec colère, avec douleur, au-dessus du désastre. On avait dit aux grévistes que tous les travailleurs feraient cause commune avec eux, et tous les abandonnaient. Leurs plaintes, leurs récriminations, après avoir égaré M. Guérard, se sont adressées à la Confédération générale du travail. Si M. Guérard représente quelques « cheminots, » la Confédération générale représente tout le monde du travail, du « travail organisé, » comme on se plaît à dire avec orgueil. Eh quoi ! la Confédération laisserait-elle écraser la grève des postiers, lorsqu’il lui suffisait de dire un mot pour lui assurer la victoire ? Ce mot était la proclamation de la grève générale. Prononcez-le, lui disait-on, et tout sera sauvé. Ce n’était pas, on le sait, l’avis du secrétaire général, M. Niel, qui a combattu la proposition avec fermeté. Mais il a été battu. La Confédération générale est