Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le concours des électriciens, l’autre, celui des « cheminots. » « Assez de discours, s’est écrié M. Pataud, le moment est venu de recourir aux actes ! » et il s’est retiré, d’un air entendu, au milieu des applaudissemens des révoqués. Nous avions peur, naturellement, pour l’éclairage de Paris, mais pas un bec électrique ne s’est éteint. Quant à M. Guérard, son cas est encore plus grave, il mérite plus d’attention.

M. Guérard est l’homme du syndicat des chemins de fer. On croit généralement qu’il n’aurait qu’un mot à dire pour que les cheminots se mettent en grève : aussitôt tous les trains qui sillonnent le pays s’arrêteraient comme par enchantement ; les campagnes ne pourraient plus écouler leurs produits sur les grandes villes qui seraient affamées ; Paris, notamment, mourrait de faim ; pour retrouver le droit de vivre, la société capitaliste devrait capituler.

Mais M. Guérard sait parfaitement que cette puissance ne lui appartient pas, et qu’une très faible minorité des « cheminots » est affiliée à son syndicat : cette minorité se compose surtout des ouvriers des ateliers, les conducteurs de machines n’en font généralement pas partie. Aussi, dans des conversations qui avaient transpiré, M. Guérard avait-il nettement déclaré, — nous dirions honnêtement, si nous n’allions pas être obligés de retirer le mot, — que la proclamation de la grève serait actuellement une faute et que les « cheminots » ne suivraient pas le mot d’ordre qui leur serait donné. La surprise n’en a été que plus grande lorsqu’on a entendu M. Guérard, dans une réunion très émouvante, donner l’assurance aux grévistes qu’ils pouvaient compter sur le concours des ouvriers et des employés des chemins de fer.

M. Guérard n’est pas un fantoche suffisant, gouailleur et narquois comme M. Pataud ; c’est un homme intelligent, à la parole duquel on attachait jusqu’ici quelque poids ; on hésitait à croire que, dans la circonstance présente, elle n’en avait aucun. Cependant, pas un seul « cheminot » ne s’est mis en grève : des espérances qu’avait fait naître M. Guérard, pas une n’a été suivie d’effet. Malgré notre scepticisme, nous ne nous attendions pas à une inertie aussi complète. Dans une dernière réunion, les postiers s’en sont plaints avec amertume, et ils en avaient assurément le droit. M. Subra, agent révoqué, a sommé M. Guérard de s’expliquer. Voici son explication ; elle vaut d’être retenue. — Vous savez très bien, a dit M. Guérard, comment les choses se sont passées. Deux postiers révoqués sont venus me prier, pour « donner un coup de fouet » à la grève qui menaçait de tomber à plat faute de confiance, de promettre le concours des « cheminots. » J’ai commencé par refuser, d’autant plus que mon opinion sur