Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espion frappé comme par hasard d’une balle en pleine tête.

A l’un de mes passages à Cagliari, on racontait l’histoire récente d’un homme qui s’échappa du bagne de cette ville où il était détenu à perpétuité. Il gagna le village dans lequel vivait avec sa famille l’homme qu’il supposait l’avoir dénoncé. Il tua le mari, la femme, les enfans et revint se constituer prisonnier le lendemain matin, sachant que sa condamnation primitive ne pouvait être augmentée, puisque la peine de mort est abolie en Italie.

Au beau temps des brigands, il y avait en Sardaigne des hommes aussi réputés, aussi respectés que des soldats renommés dans d’autres pays. Le soir, dans les villages, on racontait autour du feu mourant leurs aventures, leurs exploits. On célébrait leur courage ; de fait, ils en avaient beaucoup. Ces conversations exaltaient les esprits ; les filles les plus jolies, les plus riches voulaient les épouser, et certainement beaucoup de jeunes gens, grisés par ce succès d’estime, sont devenus bandits sans grand motif, sans trop savoir pourquoi, sauf peut-être par l’amour de la célébrité.

Pour résumer l’état actuel du banditisme en Sardaigne, je ne puis mieux le dépeindre qu’en traduisant la réponse désolée que me fit un homme du pays à qui je demandais en arrivant s’il y avait de nouveaux hôtes dans la montagne, l’effectif étant très variable d’une année à une autre. « Oh ! non, signor, maintenant nous n’avons plus que de petites têtes, de pauvres cervelles, des voleurs de cochons. Le grand bandito n’existe plus. »

La faune de la Sardaigne offre une particularité remarquable. Tous les animaux y sont plus petits que leurs congénères du Continent, qu’il s’agisse du sanglier, du cerf, du chevreuil, du lièvre, du renard. Ce dernier, malgré sa faible taille, s’attaque cependant non seulement aux agneaux, mais tue souvent des moutons adultes.

Dans le peu de bois encore existans, il y a des chats sauvages. Un soir de l’année dernière au moment où une violente tempête de neige et de grêle allait éclater, l’un d’eux, rôdant autour de la hutte dans laquelle j’étais, se mit à miauler désespérément, comme pris de peur ou de chagrin en entendant les grondemens lointains du tonnerre.