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Quand je suis arrivé en Sardaigne pour la première fois en février 1900, on venait justement de faire une gigantesque battue dans des montagnes voisines de mon terrain de chasse. Le préfet de Sassari avait à cet effet mobilisé une véritable armée de gendarmes, de soldats d’infanterie, et après plusieurs jours de marches et de contremarches, cinq brigands furent acculés sur un piton dénudé ; quatre y furent tués, l’un d’eux tenait la campagne depuis plus de trente ans ; le cinquième s’échappa, on a dit depuis qu’il mourut d’une balle l’année suivante. A la suite de cette battue, un procès fut engagé à Sassari : pères, mères, frères, sœurs, amis ou simplement contribuables volontaires ou involontaires des bandits, trois ou quatre cents personnes au moins furent compromises dans cette affaire ; de Nuoro, il partait sans cesse des groupes de dix à quinze individus enchaînés ; presque tous furent acquittés. Mais de longs mois de prison préventive avaient été un salutaire avertissement pour ces populations, et, depuis ce temps, le banditisme a très sensiblement diminué.

Jusqu’en 1890 et après, il y avait en moyenne dans cette région parcourant le pays par groupes de deux, trois, quatre ou cinq individus, pour pouvoir circuler librement sans attirer l’attention, une quarantaine de brigands, dont une vingtaine de Nuoro. Ceux-ci étaient très redoutés. Ils avaient la réputation d’être plus vindicatifs, et d’avoir le coup de fusil plus facile que les autres. Ceux du village d’Orgosolo venaient ensuite dans le même ordre d’idées. Ils ne se réunissaient que rarement en grandes bandes et seulement pour chercher à enlever une diligence ou un convoi d’argent sortant de la mine de Correboï. Aussi d’extraordinaires précautions étaient-elles prises contre eux. Les heures de départ du convoi étaient tenues secrètes.

Quant au service des diligences, il était et est encore protégé par des patrouilles de gendarmes se promenant sur les routes ou stationnant soit sur des points culminans, soit dans des maisons de cantonniers. L’année passée, comme pendant les précédentes, en voyageant dans l’omnibus, allant de Nuoro à Fonni, j’ai rencontré trois ou quatre de ces patrouilles. En dehors des grandes voies de communication, et pour cause, jamais un gendarme ne s’y hasarde.

Les personnes n’ayant pas été en Sardaigne peuvent se demander pourquoi un homme abandonne son village, et surtout comment il lui est possible de vivre, sans être pris pendant de