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ce cas, répondis-je, il serait très risqué de se vanter, même indirectement, d’une soumission du roi de Prusse. La satisfaction que nous donnerions à l’opinion publique par cette assurance erronée ne serait pas de longue durée : Bismarck nous opposerait un démenti brutal, et l’affaire, qui paraît terminée, recommencerait. D’ailleurs, si Olozaga a agi sans mandat de son gouvernement, qui sait comment on accueillera son initiative à Madrid ? Qui sait aussi quel sera, en présence de cette surprise, le langage du roi de Prusse qui, jusque-là, n’a rien répondu à nos demandes ? »

L’Empereur reconnut la justesse de ces remarques. J’ajoutai que je ne pouvais pas présenter aux Chambres la communication faite par Olozaga comme une communication officielle. Olozaga n’était pas l’ambassadeur du prince Antoine, mais celui du gouvernement espagnol. Il n’y avait d’officiel que ce qu’il communiquait au nom de son gouvernement ; la démarche du prince Antoine n’était, strictement parlant, qu’une démarche privée, dénuée de caractère officiel ; dans cet état des choses, une déclaration était inopportune et pourrait devenir dangereuse. Nous étions entourés d’obscurités ; nous ne nous rendions compte ni des intentions de Berlin, ni de celles de Madrid : l’attente n’était-elle pas le seul parti prudent ? Quelquefois on est tout à coup saisi par un brouillard intense dans un sentier de montagne, le long d’un précipice. Que fait-on ? On s’arrête jusqu’à ce que le brouillard soit dissipé. Gramont, à la suite de sa conférence avec Werther, nous instruirait peut-être des volontés du roi Guillaume ; d’heure en heure Olozaga pouvait recevoir des réponses de Madrid : avant d’avoir obtenu et d’avoir pesé ces élémens de décision, il était imprudent de s’expliquer. L’Empereur adopta cette manière de voir, et il fut convenu que rien ne serait arrêté avant la réunion du Conseil à Saint-Cloud le lendemain à neuf heures du matin.

Nigra me succéda. L’Empereur l’avait mandé. Il lui tendit la copie du télégramme du prince Antoine à Olozaga. Nigra lut, félicita vivement le souverain. « C’est une grande victoire morale pour la France, d’autant plus précieuse qu’elle est gagnée sans avoir répandu le sang humain, et j’espère que l’Empereur s’en contente et qu’il m’a fait appeler ici pour m’annoncer la paix. — Oui, c’est la paix, répondit l’Empereur, et je vous ai fait venir pour que vous le télégraphiiez à votre gouvernement. Je n’ai pas eu le temps d’écrire au Roi. Je sais bien que l’opinion